Un regard sur la rupture entre l’interprétation pharisienne de la loi et la vision du Christ

Après avoir exploré les reproches adressés à Jésus sur Sa fréquentation des pécheurs, puis Sa liberté par rapport au sabbat, ce nouvel article s’arrête sur un autre point de tension entre Jésus et les pharisiens : la question de la pureté rituelle. Là où les chefs religieux de Son temps codifiaient scrupuleusement les prescriptions alimentaires et sexuelles, Jésus appelait à une purification intérieure. Ce désaccord, profondément théologique, finira par creuser un fossé entre la tradition juive post-biblique et l’Église chrétienne naissante.

La tradition juive n’a pas entendu l’appel de Jésus à se purifier intérieurement. Après Sa mort et Sa résurrection, elle a continué à codifier les règles d’observance de la pureté rituelle avec un zèle encore accru. Le Talmud, la Mishna et d’autres textes de la littérature rabbinique ont poursuivi l’élaboration d’un code de sainteté, précisément dans le sens vivement critiqué par Jésus.

Le Livre de la sainteté du philosophe et théologien juif Maïmonide, écrit au XIIᵉ siècle, en est une illustration frappante. Il s’agit du cinquième tome de son grand recueil de lois, la Mishné Torah, qui en compte treize. Dans l’avant-propos de ce livre, Maïmonide écrit :

« J’y inclurai les commandements concernant les relations sexuelles illicites et les commandements concernant les aliments interdits, car c’est par ces deux éléments (…) que le Créateur nous a sanctifiés et nous a distingués des autres peuples. »

Ce traité se divise en trois sections : les lois sur les relations interdites, les lois sur les aliments interdits et les lois sur l’abattage rituel du bétail. La première section comprend 37 commandements portant sur les relations sexuelles ; la deuxième en comporte 28 sur les animaux considérés comme impurs ou purs, et la troisième section contient 5 commandements relatifs à l’abattage.

Chacun de ces soixante-dix commandements est accompagné de quinze à vingt notes explicatives, décrivant les cas de transgression, y compris les perversions sexuelles, et précisant les circonstances dans lesquelles la règle pourrait ne pas s’appliquer.

On y lit par exemple :

« Les sages ont interdit des choses qui ne viennent pas de la Torah pour s’éloigner des non-juifs… Des lentilles grillées par des non-juifs sont interdites ; mais le blé et l’orge grillés, pétris avec de l’eau, sont permis… Il est défendu à un homme de retenir ses besoins, les gros comme les petits… »

Ces pratiques, devenues illisibles au lecteur moderne, paraissent étranges voire déroutantes. Et pourtant, elles s’inscrivaient dans une conception de la piété selon laquelle la sainteté s’exprimait dans l’observance minutieuse de règles définies par les anciens. Jésus dénonçait cette vision, en accusant les pharisiens de transgresser le commandement au profit de leur tradition (Mt 15,3).

Là où les rabbins faisaient des aliments interdits une question de pureté morale, Jésus affirme qu’aucun aliment ne rend impur. C’est ce qu’Il enseigne à Ses disciples, et ce que confirme une vision rapportée dans les Actes des apôtres, quand Pierre voit une nappe descendre du ciel remplie d’animaux impurs. Une voix lui dit :

« Lève-toi, Pierre, tue et mange. »
« Non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé et d’impur. »
« Ce que Dieu a déclaré pur, ne le regarde pas comme souillé »

Ac 10,10-16

Ce récit illustre la rupture qui s’opère à l’intérieur même de l’Église naissante. L’enseignement de Jésus sur la sainteté va désormais prendre une autre direction que celle de la tradition juive rabbinique.

Malgré des tentatives modernes pour concilier ces deux conceptions de la sainteté – celle prêchée par Jésus, et celle des pharisiens –, les discours de Jésus dans les synagogues rencontrèrent un rejet radical de la part des chefs religieux. La première génération chrétienne dut rompre définitivement avec la synagogue. Les enseignements de Jésus ne s’inscrivaient plus dans le cadre étroit de la tradition pharisienne.

Ce troisième conflit entre Jésus et les autorités religieuses de Son temps ne portait pas simplement sur des coutumes, mais sur deux visions de la sainteté. L’une, extérieure, codifiait la pureté dans les moindres détails ; l’autre, intérieure, appelait à la miséricorde, à la justice et à la transformation du cœur. Et comme pour le sabbat ou les relations avec les pécheurs, Jésus ne cherchait pas la transgression gratuite, mais une fidélité plus profonde au dessein de Dieu.

Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de Jésus-Christ. Vie et Enseignement par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, Début de l’Évangile, visitez le site des Éditions des Syrtes.

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