Lors de la Conférence des évêques de l’Église orthodoxe russe qui s’est tenue le 19 juillet 2023 à la Laure de la Sainte-Trinité-Serge, le métropolite Hilarion de Hongrie et de Budapest a présenté le document intitulé « De l’altération de l’enseignement orthodoxe sur l’Église dans les actes de la hiérarchie du Patriarcat de Constantinople et les interventions de ses représentants ». Le document, rédigé par la Commission synodale de théologie biblique du Patriarcat de Moscou, a été approuvé par les participants à la conférence qui l’ont soumis à l’approbation du Saint-Synode.
Nous publions en plusieurs parties la traduction française de ce long document qui a pour but d’exprimer la critique de l’Église orthodoxe russe à l’égard de l’ecclésiologie du Patriarcat de Constantinople.
Introduction
Réunis pour la prière commune et la communion fraternelle dans l’Esprit Saint auprès des précieuses reliques de saint Serge de Radonège en l’ancienne Laure de la Sainte-Trinité qu’il a fondée, nous, hiérarques de l’Église orthodoxe russe, ne pouvons rester silencieux face à la triste division que connaît actuellement le monde orthodoxe, causée par les actions arbitraires du Patriarcat de Constantinople et les nouveaux enseignements propagés par son Primat et ses représentants officiels. Nous considérons qu’il est de notre devoir d’élever notre voix pour défendre la doctrine orthodoxe sur l’Église, en nous adressant à la fois à notre troupeau aimant Dieu et à nos confrères archipasteurs du monde orthodoxe.
Derrière les actions schismatiques des hiérarques constantinopolitains en Ukraine, lesquelles ont divisé la famille orthodoxe mondiale, se trouvent des innovations dans la doctrine sur l’Église, qui visent à détruire les fondements canoniques existants et qui sont intensivement promues par ces mêmes hiérarques. La nouvelle conception de la primauté du Patriarche de Constantinople, présenté comme le chef terrestre de l’Église universelle, lui accorde des droits et des privilèges qui vont bien au-delà des droits de tout autre primat d’une Église locale orthodoxe et violent les droits canoniques des autres Églises.
En 2008 déjà, l’Assemblée des évêques de l’Église orthodoxe russe, dans sa déclaration « Sur l’unité de l’Église », avait résumé les principales thèses de la nouvelle conception ecclésiologique des représentants de l’Église de Constantinople, mentionnant que cette conception découle d’une compréhension de certains canons (principalement les 9e, 17e et 28e canon du IVe Concile œcuménique), qui n’est pas partagée par le Plérôme de l’Église orthodoxe, et devient un défi pour l’unité panorthodoxe.
Selon cette conception, a) seules les Églises locales en communion avec le Siège de Constantinople sont considérées comme appartenant à l’Orthodoxie universelle ; b) le Patriarcat de Constantinople a le droit exclusif de juridiction ecclésiastique sur tous les pays de la diaspora orthodoxe ; c) dans ces pays, le Patriarcat de Constantinople représente seul les opinions et les intérêts de toutes les Églises locales auprès des autorités de l’État ; d) tout hiérarque ou clerc exerçant son ministère en dehors des limites du territoire canonique de son Église locale se trouve sous la juridiction ecclésiastique de Constantinople, même s’il n’en est pas lui-même conscient, et peut donc, s’il le désire, être admis dans cette juridiction sans lettre de congé ; e) le Patriarcat de Constantinople détermine les limites géographiques des Églises et, si son opinion ne coïncide pas avec l’opinion de l’une ou l’autre Église sur cette question, il peut établir sa propre juridiction sur le territoire de cette Église ; f) le Patriarcat de Constantinople détermine unilatéralement quelle Église locale autocéphale peut ou ne peut pas participer à des événements interorthodoxes.
L’Assemblée mentionnait qu’une telle vision de ses propres droits et pouvoirs par le Patriarcat de Constantinople était en contradiction insurmontable avec la tradition canonique séculaire sur laquelle repose l’existence de l’Église orthodoxe russe et des autres Églises locales. L’Assemblée a reconnu que toutes les questions susmentionnées ne pourront être définitivement résolues que lors d’un Concile œcuménique de l’Église orthodoxe et, d’ici là, a appelé l’Église de Constantinople, jusqu’à l’examen panorthodoxe des innovations susmentionnées, à faire preuve de circonspection et à s’abstenir de prendre des mesures pouvant détruire l’unité orthodoxe. Ceci s’applique en particulier aux tentatives de révision des limites canoniques des Églises orthodoxes locales.
Entre-temps, de nouvelles revendications de Constantinople sont venues s’ajouter à celles que l’Assemblée des évêques de 2008 avait désignées. En particulier, a) le Patriarche de Constantinople insiste sur le fait qu’il a le droit d’examiner les appels contre les décisions de justice [ecclésiastique, ndt] prises dans toute autre Église orthodoxe locale et de rendre un jugement final à leur sujet ; b) le Patriarche de Constantinople se considère autorisé à intervenir dans les affaires internes de toute Église orthodoxe locale s’il le juge nécessaire ; c) le Patriarche de Constantinople déclare qu’il est doté de la compétence d’annuler les sanctions canoniques prononcées dans d’autres Églises locales, de « rétablir dans leur rang sacerdotal » les personnes qui ont perdu leur dignité épiscopale du fait de leur déviation dans le schisme; d) qui plus est, les personnes qui n’ont jamais eu ne serait-ce que l’apparence d’une ordination épiscopale canonique (par exemple, celles ordonnées par un évêque défroqué et un ancien diacre se faisant passer pour un évêque) sont « rétablis » dans la dignité épiscopale par décision du Patriarche de Constantinople ; e) le Patriarche de Constantinople considère être en droit de recevoir dans sa juridiction canonique des clercs de tout diocèse de n’importe quelle Église locale sans lettre de congé canonique ; f) le Patriarche de Constantinople s’arroge le droit exclusif d’initiative dans la convocation de conciles panorthodoxes et autres événements panorthodoxes importants ; g) enfin, contrairement aux accords interorthodoxes conclus lors de la préparation du Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe, qui présumaient que l’octroi de l’autocéphalie à l’une ou l’autre Église n’est possible qu’avec l’accord de toutes les Églises locales universellement reconnues, le Patriarche de Constantinople déclare son droit individuel de proclamer l’autocéphalie de nouvelles Églises locales, dont celles qui se trouvent hors de la juridiction de l’Église de Constantinople, et ce sans l’accord des Primats et des Assemblées des évêques des autres Églises locales orthodoxes. En même temps, le concept même d’autocéphalie est traité de telle manière qu’il signifie en fait la subordination de l’Église autocéphale au Patriarcat de Constantinople.
Les déviations de l’ecclésiologie orthodoxe énumérées ci-dessus, transposées du plan théorique au plan pratique, ont conduit à une crise profonde de l’Orthodoxie mondiale. La cause immédiate de cette crise a été l’intrusion du Patriarcat de Constantinople en Ukraine. Cet acte anti-canonique et délictuel, dont le patriarche Bartholomée de Constantinople est personnellement responsable, a été dûment évalué dans les déclarations du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe des 14 septembre et 15 octobre 2018, du 26 février 2019, ainsi que dans les résolutions du Saint-Synode du 28 décembre 2018 (Protocole n° 98) et du 4 avril 2019 (Protocole n° 21).
La visite du patriarche Bartholomée à Kiev, qui s’en est suivie les 20 et 24 août 2021 a fait l’objet d’une évaluation canonique lors d’une réunion du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe les 23 et 24 septembre 2021, qui a décidé : « Reconnaître la venue à Kiev du patriarche Bartholomée de Constantinople et de sa suite, sans invitation du patriarche de Moscou et de toute la Russie, ni du métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine et des hiérarques légitimes de l’Église orthodoxe ukrainienne, comme une violation flagrante des canons, en particulier du 3e canon du Concile de Sardique et du 13e canon du Concile d’Antioche » (Protocole n° 60). Parmi les récentes visites anti-canoniques du patriarche Bartholomée, il convient également de mentionner celles du 20 au 23 mars 2023 en Lituanie et du 16 au 20 juin 2023 en Estonie.
Toutefois, les tentatives de Constantinople pour convaincre toutes les Églises orthodoxes locales du bien-fondé de ses actions n’ont pas apporté les résultats escomptés.
Entre-temps, le Patriarche Bartholomée de Constantinople a déjà annoncé de nouveaux actes anti-canoniques. En particulier, le 21 mars 2023, lors d’une rencontre avec le Premier ministre de la République de Lituanie à Vilnius, il a déclaré : « Aujourd’hui, une nouvelle perspective s’ouvre à nous, ainsi que la possibilité de travailler ensemble pour établir un exarchat du Patriarcat œcuménique en Lituanie »[1]. Ainsi, une nouvelle intrusion dans le territoire canonique de l’Église orthodoxe russe se prépare.
Puisque les actions illégales de Constantinople se poursuivent et que les idées qui altèrent la doctrine orthodoxe sur l’Église continuent à se développer, nous considérons qu’il est de notre devoir de rappeler à nos fidèles les principes fondamentaux sur lesquels l’ecclésiologie orthodoxe a été construite pendant des siècles et de témoigner à tout le Plérôme orthodoxe de notre fidélité à ces principes immuables. C’est précisément la violation de ces principes par le patriarche Bartholomée de Constantinople qui est devenue la cause du schisme dans l’Orthodoxie mondiale.
[1] Voir la publication « Το Οικουμενικό Πατριαρχείο στην Λιθουανία » sur le site web de Phos Fanariou.
Pour lire la suite :
1re partie ; 2e partie et 3e partie