Le 27 avril, une conférence intitulée « Consultation de Rome » s’est tenue dans la capitale italienne, où théologiens, historiens, sociologues, juristes et experts dans le domaine des relations œcuméniques ont analysé le respect des normes de liberté religieuse en Ukraine à l’exemple des pressions exercées sur l’Église orthodoxe ukrainienne (sous l’omophore du métropolite Onuphre) par les autorités locales et nationales. Cette conférence, comme la précédente à Berlin, a été organisé à l’initiative du site Baznica.info et de la Fondation Saint-Meinard (l’Église luthérienne de Lettonie).
Les participants ont publié une déclaration sur la situation de la liberté religieuse en Ukraine que vous pouvez lire ci-dessous :
« En se fondant sur les résultats des consultations théologiques qui se sont tenues à Berlin le 2 février 2024 et à Rome le 27 avril 2024 au cours desquelles un groupe d’experts et de théologiens ont étudié la situation des droits de l’homme en Ukraine, les conclusions suivantes ont été tirées :
Nous soutenons l’Ukraine dans sa guerre défensive juste et estimons que les actions légales et justifiées des services de renseignement et des agences gouvernementales pour protéger l’ordre constitutionnel et empêcher la collaboration et l’espionnage contre des individus spécifiques qui ont commis des crimes s’inscrivent dans le cadre juridique. En même temps, nous ne pouvons pas partager la rhétorique qui exploite les thèses de la responsabilité collective de l’ensemble de la communauté religieuse donnée pour les actions de ses membres à titre individuel ou même du clergé.
Nous préconisons que même dans des conditions de guerre avec le régime autoritaire russe, l’Ukraine devrait rester attachée aux valeurs démocratiques, parmi lesquelles la liberté de culte figure parmi les valeurs fondamentales.
La déclaration sous forme de « recommandations » du Congrès mondial du peuple russe, une organisation presque entièrement dépendante de l’Église orthodoxe russe et dirigée par son patriarche, datée du 27 mars 2024 sur la nature de la guerre russo-ukrainienne en tant que guerre « sainte » suscite une protestation fondée de la part des chrétiens orthodoxes européens et ukrainiens et constitue une tentative d’instrumentaliser la rhétorique religieuse pour justifier la politique étrangère agressive du Kremlin et les revendications des nationalistes russes sur les terres de l’État voisin.
Les déclarations et les actions de l’Église orthodoxe russe, y compris la prise de contrôle administratif des diocèses de l’Église orthodoxe ukrainienne dans les territoires occupés, suscitent une inquiétude croissante de la part de l’État ukrainien. Cela a encore aggravé la situation déjà tendue et complexe entre l’Église orthodoxe ukrainienne et les autorités de l’État ukrainien.
Ces derniers mois, les autorités gouvernementales et les services de renseignement ukrainiens ont exercé une pression accrue autant au niveau local que national contre le clergé et les paroissiens de l’Église orthodoxe ukrainienne. Des exemples d’une telle pression au cours des derniers mois incluent l’attaque contre l’évêque Longin (Jar), les affaires pénales contre le métropolite Théodose de Tcherkassy, le métropolite Arsène de Sviatogorsk, l’archiprêtre Nicolas Danilevich et d’autres. Le statut ecclésial élevé des accusés dans les affaires pénales témoigne de la pression croissante exercée sur l’Église.
Dans un certain nombre de cas, nous pouvons affirmer avec certitude le caractère répressif d’affaires pénales engagées sur le fond de preuves douteuses. À notre avis, leur objectif est d’entraver les activités publiques légitimes des évêques et du clergé de l’Église orthodoxe ukrainienne en matière de droits de l’homme, ce qui peut être qualifié de violation de la liberté de culte et d’ingérence des services spéciaux dans les activités d’une organisation religieuse.
Un autre signal alarmant est la poursuite des saisies d’églises, comme l’ont signalé les participants à la consultation qui vivent en Ukraine et surveillent de l’intérieur les processus en cours. Ces saisies sont effectuées avec la connivence des autorités locales, sur la base d’une législation imparfaite et souvent en recourant à la force.
Les journalistes orthodoxes qui couvrent la situation des relations entre l’Église et l’État et tentent d’effectuer leur travail en publiant des faits et en évaluant les abus commis par les autorités font l’objet de diverses formes de persécution, y compris de poursuites pénales. Au cours de la consultation, le silence de la communauté professionnelle journalistique, qui ne réagit pas aux cas de persécution de collègues, a été noté à plusieurs reprises.
Une campagne systématique de dénigrement de l’Église orthodoxe ukrainienne, présentée comme « pro-Moscou », « déloyale » ou gonflant directement les quelques cas de collaboration et les généralisant à l’ensemble de la communauté ecclésiale, qui compte plusieurs millions de personnes, est menée dans le cadre du « Téléthon uni », ainsi que dans des publications ukrainiennes sur Internet. De telles campagnes de dénigrement de la plus grande organisation religieuse du pays sont très préoccupantes, car elles provoquent une scission au sein de la société et donnent raison à la propagande du Kremlin de remettre en question la nature démocratique de l’État ukrainien.
Les tentatives des autorités étatique et judiciaires de présenter l’une des communautés orthodoxes du pays comme un symbole de souveraineté sont particulièrement préoccupantes. Cela se reflète dans les formulations judiciaires absurdes sur « l’Église orthodoxe d’Ukraine comme l’un des attributs de la souveraineté », qui contredisent la Constitution.
Lors des consultations de Berlin et de Rome, la position patriotique audacieuse de l’Église orthodoxe ukrainienne en la personne de son primat et de ses dirigeants a été soulignée. Le représentant de l’Église, le métropolite Onuphre, a condamné les actions de la Russie dans les premières heures qui ont suivi le début de l’invasion à grande échelle. L’Église orthodoxe ukrainienne a également condamné les « recommandations » du « Congrès mondial du peuple russe », qui a reconnu la guerre comme « sacrée ».
Les prêtres et les laïcs de l’Église orthodoxe ukrainienne se portent volontaires pour soutenir les forces armées ukrainiennes et les réfugiés. Dans les unités militaires, une partie importante du personnel militaire sont des paroissiens de l’Église orthodoxe ukrainienne. Dans le même temps, le pays interdit légalement aux prêtres de l’Église orthodoxe ukrainienne de participer au ministère d’aumônerie et de fournir un soutien spirituel aux défenseurs orthodoxes d’Ukraine, qui sont ainsi victime à une discrimination religieuse.
En résumé, nous appelons les hommes politiques européens, les organisations non-gouvernementales, les associations religieuses et la communauté œcuménique en à prêter attention aux nombreuses violations des droits et libertés des croyants de l’Église orthodoxe ukrainienne et à créer un organe de surveillance permanent en le domaine de la liberté religieuse en Ukraine.
De son côté, le groupe de travail de la Consultation de Rome poursuivra ses activités dans le domaine de la surveillance et de l’établissement de rapports sur la situation de l’Église orthodoxe ukrainienne.
Fondation Saint-Meinard et participants à la Consultation de Rome »