Soixante-six ans se sont écoulés depuis l’agression lancée par les Turcs, avec l’approbation du gouvernement Menderes, contre la très nombreuse et prospère communauté grecque d’Istanbul les 6 et 7 septembre 1955. Environ neuf heures ont suffi pour détruire 1004 maisons, 4348 magasins, 27 pharmacies, 26 écoles, 5 clubs culturels, les locaux de 3 journaux, 12 hôtels, 11 cliniques, 21 usines, 110 confiseries et restaurants, 73 églises.
Le résultat de cette agression est que le nombre des Grecs qui vivaient à Istanbul à cette époque a progressivement diminué, passant de 100 000 à 2 000 à peine, un fait qui est décrit par les historiens comme un génocide méconnu contre les Grecs. Le ministre grec des Affaires étrangères, M. Nikos Dendias, a envoyé un message à l’occasion du 66e anniversaire du pogrom des Grecs d’Istanbul, qui a eu des conséquences désastreuses.
« 66 ans après les ‘émeutes de septembre’, nous n’oublions pas le pogrom de la nuit du 6 septembre 1955. Il a eu des conséquences dévastatrices pour l’Hellénisme d’Istanbul et a été le début de sa réduction dramatique ultérieure, en violation du traité de Lausanne. Le pogrom a également privé la ville de son élément économique et culturel dynamique. La partie de la société turque qui se tournait vers l’Europe s’est appauvrie », a-t-il écrit.
Le contexte historique avant l’attentat
En 1955, la Turquie était dirigé par Adnan Menderes – un « premier Erdogan » – et le Parti démocratique. Menderes a souvent joué la carte musulmane, ce qui a provoqué l’irritation de l’establishment kémaliste du pays. Les milliers de mosquées construites sous son mandat en sont la preuve.
La situation économique de la Turquie n’était pas florissante, tandis que la fièvre nationaliste montait, les Chypriotes grecs réclamant l’union de l’île avec la Grèce. C’était une bonne excuse pour les dirigeants turcs de détourner l’opinion publique de ses problèmes en la retournant contre la prospère minorité grecque. Le 28 août 1955, Menderes a publiquement affirmé que les Chypriotes grecs préparaient des massacres contre les Chypriotes turcs.
Le prétexte du pogrom contre l’Hellénisme d’Istanbul a été donné le 6 septembre, lorsqu’un engin improvisé a explosé au consulat turc de Thessalonique, qui était et est toujours installé dans la maison où est né Kemal Atatürk, le fondateur de l’État turc moderne. L’auteur de l’attentat a été arrêté par les autorités grecques. Il s’agissait d’Oktay Eghin, un étudiant musulman de Komotini (Grèce), qui est devenu par la suite le symbole du héros. Il a été honoré en Turquie et nommé gouverneur d’une province. Des années plus tard, dans une interview accordée au journal grec « Eleftherotypia », il a nié tout lien avec l’incident et s’est considéré comme une victime des autorités grecques.
L’explosion de la maison d’Atatürk n’a causé que des dommages matériels mineurs aux fenêtres du bâtiment, mais les journaux turcs ont profité de l’événement en l’exagérant et en le déformant, suivant les instructions du gouvernement. Des titres tels que « Des terroristes grecs ont détruit la maison natale d’Atatürk », publiés en première page de l’Istanbul Express, et la publication d’une série de photos truquées de l’incident ont provoqué des manifestations « spontanées » sur la place Taksim dans l’après-midi du même jour.
Le pillage des biens et les événements violents
À 17 heures, la foule déchaînée de 50 000 personnes s’est retournée contre les biens grecs dans le quartier de Peran. Les pillages ont continué jusqu’aux premières heures du 7 septembre, lorsque l’armée est intervenue, car la situation risquait de devenir incontrôlable. Jusque-là, les autorités restaient apathiques quand elles ne facilitaient pas la tâche des pilleurs. L’appareil du parti démocrate, qui contrôlait les syndicats, a joué un rôle de catalyseur dans les émeutes.
Un grand nombre de manifestants avaient été transportés gratuitement depuis l’Asie Mineure occidentale en échange d’une récompense de 6 dollars, qui ne leur a jamais été remise. 4 000 taxis les ont transportés sur les lieux des émeutes, tandis que des camions de la municipalité de Constantinople étaient déployés aux points stratégiques de la ville, chargés de haches, de pelles, de gourdins, de pioches, de marteaux, de pieds-de-biche en fer et de bidons d’essence, attirail indispensable à la foule en ébullition, qui a attaqué les magasins grecs avec les slogans « Mort aux giaours (mécréants, NdT) », « Brisez, démolissez, c’est un giaour », « Abattez les traîtres grecs », « À bas l’Europe » et « Marchons sur Athènes et Thessalonique ». Certains magasins appartenant à des Arméniens et à des Juifs n’ont pas échappé à la rage de la foule.
Hommes et femmes ont été violés et, selon le témoignage du célèbre écrivain turc Aziz Nesin, de nombreux prêtres ont été contraints de se faire circoncire, un prêtre arménien en est mort. 16 Grecs sont morts et 32 ont été blessés.
Les outrages contre les Grecs n’ont pas seulement eu lieu à Istanbul, mais aussi à Izmir. Le matin du 7 septembre, des nationalistes turcs ont brûlé le pavillon grec à la Foire internationale de Smyrne. Ils ont ensuite détruit l’église nouvellement construite de sainte Photine et pillé les maisons des soldats grecs servant au quartier général de l’OTAN.
Le bilan tragique
Le pogrom contre les Grecs a causé :
la mort de 16 Grecs et la blessure de 32.
la mort d’un Arménien
le viol de 12 femmes grecques
le viol d’un nombre indéterminé d’hommes (forcés à être circoncis)
la destruction de :
4 348 établissements commerciaux,
110 hôtels,
27 pharmacies,
23 écoles,
21 usines,
73 églises,
environ 1000 maisons, toutes appartenant à des Grecs.
Le coût économique des dommages s’est élevé à 150 millions de dollars, selon les organisations internationales, tandis que le gouvernement grec l’a estimé à 500 millions de dollars. L’hémorragie économique et la peur ont poussé des milliers de Grecs de Turquie à émigrer en Grèce.
Plus tard, l’État turc, par l’intermédiaire du président Celâl Bayar, a promis une indemnisation pour la destruction des biens grecs. Au mieux, elle ne dépassait pas 20 % de leurs réclamations, étant donné que leurs actifs avaient été sous-évalués de façon spectaculaire.