Les Évangiles ne nous disent rien de l’apparence physique de Jésus, mais ce silence n’a cessé de nourrir la curiosité des chrétiens à travers les siècles. Était-Il beau ou ordinaire ? Rayonnant ou sans éclat ?
Les Évangiles ne sont pas à proprement parler des biographies de Jésus : ils s’intéressent peu aux détails de Son quotidien ou à la description de Sa personne. Pourtant, à travers les récits qu’ils livrent, on peut entrevoir certains éléments révélateurs de Son mode de vie et de Ses traits de caractère. En dehors du récit de la Passion — où Jésus se montre pleinement homme, sujet à la peur, à la douleur et à l’angoisse —, les Évangiles ne dressent pas de portrait systématique. Mais quelques touches, çà et là, permettent d’esquisser le visage du Jésus historique.
Un détail peut surprendre : dans tout le Nouveau Testament, on ne trouve aucune description physique de Jésus-Christ. Contrairement aux règles habituelles de la littérature biographique antique, l’apparence de Jésus semble n’avoir intéressé ni les Évangélistes ni les premiers disciples. L’attention se porte plutôt sur Son enseignement, Ses gestes, Ses miracles. Sa parole et Son autorité intérieure semblent avoir éclipsé toute préoccupation liée à Son aspect extérieur.
Ce silence a toutefois donné lieu à de nombreuses spéculations à partir du IIe siècle. Certains auteurs anciens, s’appuyant sur la prophétie d’Isaïe (Is 53,2-3), en ont déduit que Jésus n’avait « ni éclat ni beauté », qu’Il était « homme de douleur » et « méprisé ». Tertullien résume ce point de vue en affirmant que l’humilité de la chair du Christ était une condition nécessaire pour que Ses miracles soient perçus comme tels : s’Il avait eu une apparence glorieuse, Ses signes auraient été banalisés. La Passion elle-même, avec ses humiliations et ses outrages, atteste selon lui que le Christ n’avait aucun prestige humain.
Ce regard sur Jésus évolue dès le IVe siècle. Saint Jérôme, par exemple, insiste sur le rayonnement de Sa divinité, qui transparaissait dans Son visage humain. Cette vision nouvelle inspire peu à peu une iconographie et une tradition hagiographique plus lumineuses, où le Christ est décrit comme noble, majestueux, attirant les regards.
Des textes comme la Lettre à l’empereur Théophile (attribuée à tort à saint Jean Damascène) décrivent Jésus comme un homme grand, au visage lumineux, aux yeux profonds, à la voix forte, aux gestes empreints de sérénité. Nicéphore Calliste, au XIVe siècle, évoque un homme de stature imposante, au visage allongé, aux cheveux clairs et ondulés, à l’expression paisible et majestueuse. L’Épître de Lentulus, texte apocryphe très répandu au Moyen Âge, insiste elle aussi sur la beauté harmonieuse du Christ, soulignant l’expression d’amour, de dignité et de sagesse qui émanait de Lui.
Ce changement de perspective doit beaucoup au développement de l’iconographie chrétienne. Dès le Ve siècle, apparaissent des représentations récurrentes du visage du Christ, qui s’inspirent d’un modèle stable : cheveux longs, raie au milieu, barbe, visage allongé. Ces représentations ne sont pas considérées comme de simples constructions humaines : elles s’ancrent dans une tradition théologique profonde, et certaines icônes sont tenues pour « acheiropoiètes », c’est-à-dire non faites de main d’homme.
Le suaire de Turin, apparu dans la tradition occidentale à la même époque, renforce cette iconographie. Sur ce linceul, on distingue l’image d’un homme d’environ 170 cm, au visage long, barbu, avec des cheveux séparés par une raie médiane. L’homme du suaire porte les traces d’une flagellation et d’une crucifixion, en parfaite cohérence avec les récits évangéliques. Aucune trace de pigment n’a été trouvée sur le tissu, et l’origine de l’image demeure inexpliquée scientifiquement. Pour beaucoup, ce suaire constitue une image authentique du Christ et un témoignage muet de Sa Passion. On l’appelle parfois, à juste titre, « le cinquième Évangile ».
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de Jésus-Christ. Vie et Enseignement par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, Début de l’Évangile, visitez le site des Éditions des Syrtes.