Hier, mercredi 24 septembre, le patriarche œcuménique Bartholomée a reçu le prix Templeton lors d’une cérémonie tenue à New York. Durant son discours, il a évoqué la relation entre foi et science, ainsi que l’importance de protéger l’environnement naturel.
Le prix Templeton comprend une récompense monétaire de plus d’un million de dollars, qui soutient le travail et les initiatives du récipiendaire. Depuis 1972, le prix est décerné annuellement à des individus qui contribuent à rapprocher religion et science et à faire progresser la compréhension spirituelle.
Les récipiendaires précédents incluent Mère Teresa ; le dalaï-lama, le dirigeant spirituel tibétain ; le prix Nobel de la paix et archevêque d’Afrique du Sud Desmond Tutu ; et l’astrophysicien britannique et ancien président de la Royal Society de Londres Martin Rees.
À cette occasion, il a prononcé un discours intitulé : Patriarche œcuménique Bartholomée : Où le Ciel rencontre la Terre : Une méditation sur la foi, la science et notre planète – Discours prononcé lors de l’acceptation du prix Templeton
« Bartholomée, archevêque de Constantinople-Nouvelle Rome et patriarche œcuménique.
Discours prononcé lors de l’acceptation du prix Templeton
(New York, 24 septembre 2025)
Monsieur le Vice-président
Vos Excellences,
Ἐξοχώτατε κύριε Πρωθυπουργὲ τῆς Ἑλλάδος
Vénérables représentants religieux,
Ancienne présidente du prix Templeton, Mademoiselle Dill,
Distingués invités, chers amis,
Me tenant devant vous comme récipiendaire de cette année du prix Templeton, je suis frappé par le poids d’une reconnaissance qui appartient sûrement non pas à un individu, mais à une vision qui anime le patriarcat œcuménique depuis plus de trois décennies : que le Dieu qui insuffla la vie aux étoiles et aux humains est le même Dieu qui pleure quand un seul moineau tombe, quand un récif corallien blanchit comme un os, et quand un enfant suffoque faute d’air pur.
Introduction
J’accepte cet honneur au nom de mon saint prédécesseur, le patriarche œcuménique Démétrios, dont la voix prophétique appela la première notre Église à embrasser son rôle de gardienne de la création en 1989. Dans les années qui suivirent, toutes les Églises orthodoxes ainsi que l’Église catholique romaine et la Communion anglicane, avec d’innombrables confessions chrétiennes et organisations œcuméniques, ont répondu à l’appel du patriarcat œcuménique pour qu’un temps de prière pour la protection de l’environnement naturel soit réservé chaque année au 1er septembre.
Ma profonde gratitude s’étend également à la Fondation John Templeton, à la Fondation mondiale de charité Templeton et au Trust religieux Templeton pour avoir administré ce remarquable prix et osé croire que le mariage entre rigueur scientifique et vigueur spirituelle pourrait encore nous sauver de nous-mêmes. Leurs valeurs consistant à « repousser les frontières de la compréhension scientifique et spirituelle » (site web de la Fondation Templeton) nous défient de comprendre l’interconnexion des deux.
Une liturgie cosmique
Au fil des siècles, nous avons été témoins d’une aliénation tragique — la religion se retirant dans ses sanctuaires, la science battant en retraite dans ses laboratoires, chacune se méfiant des prétentions de l’autre à la vérité. Trop longtemps, foi et science se sont tournées prudemment autour l’une de l’autre, s’approchant parfois d’une réconciliation mutuelle, se durcissant plus souvent en incompréhension réciproque.
Pourtant cette séparation n’était pas destinée à être. Le père de l’Église et mystique du IVe siècle Grégoire de Nysse comprenait ce que nous avons oublié : que la grâce divine « pénètre toute la création, la nature inférieure étant mélangée au surnaturel ». Il n’y a ni sacré ni séculier, ni spirituel ni matériel — seulement une vérité, une réalité unique, chatoyante d’interconnexions, palpitante de présence divine.
Quand je vois un physicien mesurer l’accélération de la fonte des glaciers dans l’Arctique et un théologien contempler les gémissements de la création (Romains 8,22-23), je vois deux personnes lisant le même livre — le livre de la nature et le livre des Écritures — dans des langues différentes. Quand je suis témoin de l’agonie d’un climatologue devant des forêts mourantes et j’entends le prophète se lamenter que « la terre est entièrement bouleversée et violemment ébranlée » (Esaïe 24,19), je reconnais le même cœur brisé battant dans les deux. La dissociation entre foi et science doit cesser. Elles sont toutes deux sur la même page.
L’art de bien faire
La religion a perfectionné certaines formes d’échec et de succès à la fois, et l’honnêteté m’oblige à les nommer. Par exemple, pendant la pandémie de COVID, certains ont choisi les théories du complot plutôt que les données épidémiologiques, les préjugés plutôt que la science, l’idéologie plutôt que les simples mathématiques de la contagion et de la mort. Ce n’est pas un témoignage fidèle ; c’est de la faute professionnelle spirituelle.
Quand les eaux montantes engloutissent des îles et que nous ne parlons que de souveraineté divine tout en ignorant les émissions de carbone, nous devenons complices de la souffrance. Quand des forêts anciennes tombent pour nourrir notre consommation et que nous n’offrons que des « pensées et prières » au lieu d’un changement systémique, nous pratiquons une foi si détachée de la réalité qu’elle a cessé d’être la foi. En même temps, nous nous trompons quand nous échouons à relier les points — entre notre culture du jetable et les décharges débordantes, entre la mode rapide et les empreintes carbone, entre notre désir de commodité et la strangulation lente des rivières par les déchets plastiques. Nous nous trompons quand nous traitons la destruction environnementale comme le problème de quelqu’un d’autre au lieu de la reconnaître comme la crise spirituelle de notre époque.
Pourtant la religion possède aussi un don unique pour faire magnifiquement les choses. Nous excellons quand nous fournissons ce dont le monde a désespérément besoin : la vision plus longue, l’histoire plus profonde, la perspective plus large. Nous faisons bien quand nous nous souvenons que prendre soin de la création ne concerne pas simplement le changement climatique, mais nous changer nous-mêmes — en fait changer tout.
Nous faisons bien quand nous apprécions que prendre soin de l’environnement ne consiste pas simplement à embrasser les arbres — bien que les mystiques nous rappellent que les arbres aussi méritent notre étreinte — mais à adorer le Dieu qui choisit de devenir chair, qui sanctifia la matière en y demeurant. Nous faisons bien quand nous plantons des jardins dans des terres désolées de béton, quand nous choisissons la beauté plutôt que l’utilité, le silence plutôt que le bruit, la communion plutôt que la consommation. Une telle vision dissout les frontières artificielles entre contemplation et engagement. Quand nous voyons vraiment, nous comprenons que nous devons agir.
La mesure de la prière, de la vigilance et de la discipline
Nous semblons avoir perdu le rythme sacré du temps naturel. En terminologie religieuse, c’est précisément ce qu’implique le pouvoir de la prière. Nos ancêtres comprenaient quelque chose que nous avons oublié : à savoir que la croissance significative requiert la patience, que la profondeur exige la durée. Les arbres ne se hâtent pas ; les étoiles ne précipitent pas leur combustion ; les montagnes ne sont pas anxieuses de leur élévation. Malheureusement, nous avons créé une civilisation accro à l’accélération, où la vitesse d’expansion importe plus que la sagesse de l’appréciation, où la gratification instantanée l’emporte sur l’épanouissement durable. Nous avons oublié la joie de regarder les graines devenir des jeunes pousses, les jeunes pousses devenir des arbres qui réconforteront et protégeront des générations que nous ne rencontrerons jamais.
Ce vertige temporel afflige particulièrement nos jeunes gens, qui héritent d’un monde où l’avenir semble incertain et précaire. Des recherches récentes révèlent une crise de santé mentale directement liée à l’anxiété environnementale chez les jeunes. Et quand nos enfants perdent espoir en demain, nous devons reconnaître cela comme en même temps un échec moral et une urgence spirituelle. Leur peur n’est pas irrationnelle ; elle est symbolique ; elle est prophétique. Ils voient ce que nous avons choisi de ne pas voir : que le monde que nous leur laissons pourrait être insoutenable et même invivable. Contre les forces engourdissantes de l’indifférence et du désespoir, la tradition orthodoxe offre la discipline de la nepsis — vigilance attentive, la pratique de rester alerte ou attentif à ce qui se passe réellement autour de nous. Jamais cet art ancien n’a été plus urgemment nécessaire.
Considérez le navire qui prit feu et coula au large du Sri Lanka en 2021, créant ce que la Cour suprême de cette nation appela « le plus grand déversement de plastique marin jamais enregistré au monde ». D’innombrables animaux marins furent tués, tandis que des tonnes de plastique se répandaient dans des eaux qui soutiennent des millions de personnes. L’amende d’un milliard de dollars imposée aux propriétaires du navire ne peut ressusciter la vie marine perdue ou restaurer les écosystèmes perturbés. Mais elle représente une reconnaissance cruciale que la destruction environnementale a des coûts réels qui doivent être payés par ceux qui la causent, et non simplement absorbés par ceux qui en souffrent. La nepsis nous demande de voir de tels désastres non comme des incidents isolés mais comme des symptômes systémiques qui privilégient le profit sur la protection et la commodité sur la conséquence.
L’Église orthodoxe parle aussi d’ascesis — non la lugubre abnégation souvent associée au terme, mais la joyeuse autodiscipline de découvrir combien suffit. Dans un monde ivre de consommation, cette sagesse ancienne offre un remède profond pour la guérison. L’ascesis brise le cercle vicieux de la cupidité déraisonnable et effrénée — le cycle sans fin où plus de consommation requiert plus de production, qui exige plus de ressources, qui crée plus de déchets, qui nécessite plus de consommation pour résoudre les problèmes créés en premier lieu par la consommation.
Il ne s’agit pas du tout de retourner à la pauvreté prémoderne ou à l’innocence primitive mais de redécouvrir ce que les philosophes grecs appelaient metron — la juste mesure, le merveilleux sens des proportions qui permet à la fois l’épanouissement humain et l’équilibre écologique. Il s’agit de choisir la qualité sur la quantité, la durabilité sur le jetable, la suffisance sur l’excès et le gaspillage. Une telle discipline devient ultimement non un fardeau mais une libération — la liberté du tapis roulant épuisant du désir sans fin, l’espace pour découvrir les satisfactions plus profondes qu’aucune quantité de consommation terrestre ne peut procurer.
Une théologie de l’interconnexion
Finalement, ce dont nous avons désespérément besoin est une « théologie de l’interconnexion » — une reconnaissance que la santé de notre planète et le bien-être de ses peuples ne sont pas des préoccupations séparées mais des aspects d’une réalité unique. Justice environnementale et justice sociale ne sont pas des causes distinctes mais des noms différents pour le même engagement envers l’épanouissement et l’équilibre de toute vie.
Cette théologie reconnaît que nous ne pouvons guérir notre relation avec la planète sans guérir nos relations les uns avec les autres. Nous ne pouvons atteindre la durabilité environnementale tout en maintenant l’inégalité sociale. Nous ne pouvons sauver la terre sans pratiquer la justice. C’est précisément là qu’émerge l’impératif œcuménique de prendre soin de l’environnement naturel. Après tout, certains peuvent être plus responsables ou redevables de la crise que nous affrontons au présent ; mais c’est seulement ensemble que nous pouvons y répondre et la résoudre pour l’avenir.
Nous tenant à cette croisée des chemins, nous affrontons un choix qui résonnera à travers le temps : Serons-nous rappelés comme la génération qui, bien que sachant mieux, choisit le confort sur la conscience ? Ou serons-nous célébrés comme les pionniers qui, malgré d’énormes défis, choisirent la transformation sur la destruction ? Conformément à la conviction de John Templeton qu’il y a une synergie précieuse entre science et religion, l’évidence scientifique est claire : nous avons un temps et des ressources limités pour altérer notre trajectoire. Les ressources spirituelles sont amples : les traditions de sagesse ont soutenu les communautés humaines à travers les transformations précédentes. Et les outils technologiques existent : énergie renouvelable, agriculture durable, conception régénératrice. Ce qui nous manque ce n’est pas la connaissance ou la capacité mais la volonté — la détermination collective de choisir des vérités difficiles sur des mensonges commodes, le changement systémique sur le gain personnel.
Conclusion
En conclusion, alors, permettez-moi de proposer non des réponses mais un appel — à voir l’intersection de la science et de la spiritualité non comme un exercice intellectuel mais comme une nécessité existentielle. L’avenir de notre planète dépend de notre capacité à rassembler la précision de la méthode scientifique avec la perception de la vision spirituelle, l’urgence du témoignage prophétique avec la patience de la pratique contemplative.
Puissions-nous trouver le courage de dire la vérité au pouvoir et la sagesse de parler d’amour à la peur. Puissions-nous découvrir que prendre soin de la création n’est pas un fardeau mais un don — l’opportunité de participer à la créativité continue du Dieu qui parla les mondes à l’existence et les appelle encore « très bons » (comme dans la Genèse, chapitre 1). Et puissions-nous nous souvenir, même dans les moments sombres, que chaque crise est aussi une opportunité, chaque mort la possibilité d’une résurrection. La terre gémit, mais elle espère aussi. La question est de savoir si nous joindrons notre voix à son chant de douleur ou à son chœur de gratitude.
Merci de votre patience. Et merci encore une fois pour l’insigne honneur du prix Templeton. Que Dieu vous bénisse tous. »