Les deux évangélistes s’accordent pour dire que Jésus est né d’une Vierge sans le concours d’un époux, et mentionnent tous deux celui du Saint-Esprit.
Pour les évangélistes qui évoquent le sujet, le sens est évident: Jésus est né de façon surnaturelle parce qu’il était non seulement le Fils de David et le Fils d’Abraham, mais aussi le Fils de Dieu. Fils de l’homme, il naît de Marie, représentante du genre humain. Mais Fils de Dieu, il naît de Dieu lui-même par l’intercession du Saint-Esprit.
Toutefois, jamais nulle part dans le Nouveau Testament, Jésus n’est appelé Fils du Saint-Esprit: il est le Fils de Dieu le Père; l’Esprit Saint ne fait qu’intervenir dans sa naissance en descendant sur Marie, mais il n’est pas son père.
Comment comprendre l’intervention du Saint-Esprit dans la naissance de Jésus?
Maxime le Confesseur se réfère à l'opinion de «quelques hommes sages» selon lesquels Jésus a reçu son âme du Saint-Esprit, «comme de la semence d'un homme», «la chair, elle, a été formée d'un sang virginal».
Les commentateurs modernes interprètent l’enfantement par la Vierge en termes plus généraux:
«Il ne faut pas comprendre l’enfantement virginal comme une déclaration sur le processus biologique de la conception: il renvoie à l’essence de la personne de Jésus dans sa relation unique à Dieu comme Fils de Dieu.»
Pokorny P., Heckel U., Vvedenie v Novy Zavet, Moscou, 2012, p. 443.
Dans la tradition religieuse ultérieure, l’idée s’est ancrée que Jésus était né de la Vierge sans le concours d’un mari parce que l’acte de conception lui-même était lié au péché, alors que le Fils de Dieu était exempt de tout péché.
Cela n’apparaît pas dans le récit évangélique: on y lit que le Fils de la Vierge sauvera son peuple de ses péchés, mais il n’est rien dit du caractère peccamineux de l’acte même de conception d’un enfant par un homme et une femme.
Toutefois, l’idée d’un lien avec le péché est déjà présente dans l’Ancien Testament; elle est notamment exprimée dans les paroles célèbres du Psaume 50: Voici, je suis né dans l’iniquité, et ma mère m’a conçu dans le péché (Ps 50:7). Mais il n’est pas question ici du caractère coupable des relations sexuelles entre un homme et une femme: cette idée contredit plus la Bible qu’elle n’en découle. Il s’agit de l’hérédité pécheresse qui, par l’acte de conception, se transmet d’une personne à une autre, de père en fils.
Dans le Nouveau Testament, ce thème est présent chez l’apôtre Paul, qui trace un parallèle entre Adam et le Christ:
Et comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Christ… Le premier homme, Adam, devint une âme vivante. Le dernier Adam est devenu un esprit vivifiant… Le premier homme, tiré de la terre, est terrestre; le second homme est du ciel.
1 Co 15:22, 45
Paul, justement, développe l’enseignement selon lequel comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, (...) ainsi la mort s’est étendue sur tous les hommes, parce que tous ont péché (Rm 5:12).
Compagnon de voyage de Paul, l’évangéliste Luc connaissait très probablement les Épîtres de Paul ou les idées qu’elles contenaient: Paul avait pu les exprimer oralement.
Il est possible que Luc ait pris la décision de faire remonter la généalogie de Jésus jusqu'à Adam et à Dieu sous l'influence de l'enseignement de Paul sur le parallélisme entre le premier Adam et le second Adam, le Christ.
La prophétie d’Isaïe citée par Matthieu dans son Évangile est tirée de la traduction grecque de la Septante où le mot Vierge (παρθένος) est effectivement utilisé. Dans le texte hébreu de la Bible qui nous est parvenu, nous trouvons à cet endroit le mot almah (עלמה), qui signifie «jeune femme».
Cette discordance a retenu l’attention des écrivains religieux dès le 2e siècle: dans sa polémique avec Tryphon le Juif, qui considérait que la prophétie d’Isaïe se rapportait au roi Ézéchias et non pas à Jésus, Justin insiste sur l’interprétation correcte, par les soixante-dix traducteurs, du passage où il est question de l’enfantement de Jésus par une Vierge.
Quoi qu’il en soit, indépendamment du sens initial de la prophétie d’Isaïe, il nous paraît évident que l’enseignement de l’enfantement de Jésus par une Vierge faisait partie intégrante du kérygme chrétien depuis le tout début, du moins depuis le moment où l’on peut retracer l’origine de ce kérygme, c’est-à-dire, dès l’apparition des écrits néotestamentaires.
Matthieu et Luc ont donné à cet enseignement une forme littéraire, tandis que Jean et Paul l’ont inscrit dans un cadre théologique. Certes, ni le corpus des écrits johanniques, ni les Épîtres pauliniennes n’évoquent directement l’enfantement de Jésus par la Vierge. Cependant, à l’instar de Matthieu et de Luc, les deux apôtres ont la conviction que Jésus est le Fils de Dieu et que sa venue dans le monde est extraordinairement et surnaturellement divine.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de “Jésus-Christ. Vie et Enseignement” par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, “Début de l’Évangile”, visitez le site des Éditions des Syrtes.