Le comptage des années «à partir de la naissance du Christ» fut introduit en Europe grâce aux travaux d’un moine latin du 6e siècle, Denys le Petit. Il établit l’année 754 depuis la fondation de Rome comme étant l’année de naissance de Jésus-Christ, ce qui correspondait aux renseignements donnés dans le troisième chapitre de l’Évangile de Luc. Dans ce chapitre, Luc dit qu’au moment de commencer son ministère Jésus avait environ trente ans (Lc 3, 23).
Cependant, au premier chapitre, Luc date les événements qui ont précédé la naissance de Jésus du règne d’Hérode, roi de Judée (Lc 1, 5). Matthieu parle également de la naissance de Jésus au temps du roi Hérode (Mt 2, 1) et du massacre des enfants de deux ans et au-dessous sur l’ordre d’Hérode (Mt 2, 16).
Tous ces événements auraient dû par conséquent se produire avant la mort d’Hérode, tout comme la fuite de Joseph et Marie avec l’enfant en Egypte. C’est seulement après la mort d’Hérode (Mt 2, 19), quand le fils d’Hérode Archélaos gouvernait la Judée (Mt 2, 22) que Joseph et Marie purent rentrer d’Egypte.
S'il est vrai qu'Hérode le Grand est décédé en l'an 4 av. J.-C., il convient de dater la naissance de Jésus de l'an 5 ou 6 «avant la naissance de Jésus Christ». C'est cette datation que retiennent à l'heure actuelle la majorité des spécialistes.
L’Évangile de Jean contient une autre indication qui nous aide à reconstituer la chronologie de la vie et du ministère de Jésus. On y trouve les paroles que Jésus a prononcées au début de son ministère: «Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai.» Ayant à l’esprit le Temple de Jérusalem tel que l’avait reconstruit Hérode le Grand, les Juifs répondirent: «Il a fallu quarante-six ans pour bâtir [οἰκοδομήθη] ce temple, et toi, en trois jours tu le relèveras!» (Jn 2, 19-20).
D’après Flavius Josèphe, la reconstruction du Temple de Jérusalem a commencé la dix-huitième année du règne d’Hérode le Grand, c’est-à-dire en l’an 20 ou 19 av. J.-C. En ajoutant quarante-six ans, nous arrivons à l’an 28 apr. J.-C.
Cependant, on ne peut affirmer avec certitude que l’entretien de Jésus avec les Juifs ait eu lieu durant la Pâque cette année-là précisément, car la construction du temple est évoquée comme un événement achevé dans le passé (c’est la forme de l’aoriste passif qui est utilisée).
Jack Finegan, auteur d’une recherche fondamentale sur la chronologie biblique (Handbook of Biblical Chronology: Principles of Time Reckoning in the Ancient World and Problems of Chronology in the Bible, Hendrickson, Preabody, Massachusetts, 1998), propose une interprétation originale, bien que controversée, de Jn 2, 19-20.
Le chercheur fait observer que c’est le seul endroit où l’évangéliste Jean désigne le Temple par le mot ναός (litt. «temple»), alors que partout ailleurs (y compris dans le récit sur le renvoi des marchands du Temple, qui précède immédiatement ce texte) il utilise le terme ἱερόν (litt. «lieu sacré, sanctuaire»).
Ce dernier terme désigne le temple dans son ensemble, cour des Juifs et cour des païens comprises, et l’évangéliste y recourt effectivement chaque fois qu’il évoque la présence de Jésus et de la foule dans le Temple (Jn 2, 14; 5, 14; 7, 28; 8, 20; 18, 20).
En revanche, le terme ναός pouvait également avoir le sens particulier de «partie intérieure du temple», accessible uniquement aux serviteurs du culte (cette signification, attestée dans la littérature classique pour les temples païens, se rencontre également chez Flavius Josèphe).
Le fait qu’en Jn 2, 19-20 l’évangéliste utilise le mot ναός à la place du terme auquel il recourt plus fréquemment, ἱερόν, autorise à penser qu’il ne s’agit pas non plus ici du temple dans son ensemble, mais du sanctuaire, dont la reconstruction est décrite par Flavius Josèphe séparément. Mais dans ce cas, les quarante-six années ne peuvent pas indiquer la durée des travaux de construction, dans la mesure où les travaux dans le sanctuaire ont duré seulement un an et demi.
En tenant compte du fait que l’aoriste passif dénote un événement du passé, Finegan propose de comprendre les mots τεσσεράκοντα καὶ ἕξ ἔτεσιν οἰκοδομήθη non pas dans le sens «fut bâti en quarante-six ans», mais «fut bâti il y a quarante-six ans». Étant donné que les travaux d’une durée d’un an et demi dans le sanctuaire ont dû être achevés en l’an 18 ou 17 av. J.-C., l’entretien de Jésus avec les Juifs lors de la première Pâque de son ministère public a probablement eu lieu en l’an 29 ou en 30.
Jésus fut crucifié sous Ponce Pilate qui gouverna la Judée de l’an 26 à l’an 36. Il est à noter que les quatre Évangiles font mention de Ponce Pilate dans le récit de la passion du Christ. Son nom s’est conservé dans la tradition chrétienne et figure même dans le Symbole de foi adopté lors du IIe Concile œcuménique en 381 («crucifié pour nous sous Ponce Pilate»).
Le fait d'inclure le nom de Pilate dans le Credo visait sans doute à montrer l'historicité de Jésus, en fixant sa mort à l'époque de l'administration du préfet romain.
Les années de début et de fin de l’administration de Pilate peuvent par conséquent être considérées comme étant respectivement le terminus ante quem et le terminus post quem pour établir la date de la mort de Jésus.
Dans leur ensemble, les données dont nous disposons permettent de tirer seulement des conclusions approximatives quant au moment de la naissance de Jésus: il est né au plus tôt en l’an 7 ans et au plus tard en l’an 1 av. J.-C.
Les choses sont plus claires pour la date de sa mort. En se fondant sur le témoignage unanime des évangélistes selon lequel Jésus a été crucifié un vendredi (Mt 27, 62; Mc 15, 42; Lc 23, 54; Jn 19, 14-31), ainsi que sur le témoignage de l’évangéliste Jean selon lequel l’agneau pascal devait être sacrifié ce jour-là (Jn 18, 28), Jack Finegan en arrive à la conclusion que la crucifixion a eu lieu le 7 avril de l’an 30 ou le 3 avril de l’an 33. Il donne la préférence à la seconde date.
Cet article fait partie de la série basée sur les six volumes de “Jésus-Christ. Vie et Enseignement” par le métropolite Hilarion Alfeyev, disponible tous les vendredis sur cette page. Pour obtenir votre exemplaire du premier volume, “Début de l’Évangile”, visitez le site des Éditions des Syrtes.