De l’altération de la doctrine orthodoxe de l’Église dans les actes de la hiérarchie du Patriarcat de Constantinople et les discours de ses représentants (1/3)

Lors de la Conférence des évêques de l’Église orthodoxe russe qui s’est tenue le 19 juillet 2023 à la Laure de la Sainte-Trinité-Serge, le métropolite Hilarion de Hongrie et de Budapest a présenté le document intitulé « De l’altération de l’enseignement orthodoxe sur l’Église dans les actes de la hiérarchie du Patriarcat de Constantinople et les interventions de ses représentants ». Le document, rédigé par la Commission synodale de théologie biblique du Patriarcat de Moscou, a été approuvé par les participants à la conférence qui l’ont soumis à l’approbation du Saint-Synode.

Nous publions la première parie de la traduction française de ce long document qui a pour but d’exprimer la critique de l’Église orthodoxe russe à l’égard de l’ecclésiologie du Patriarcat de Constantinople. L’introduction est disponible ICI, 2e partie et 3e partie !

1. Les revendications du patriarche de Constantinople à la primauté de pouvoir sur l’Église universelle

L’Église a été établie sur terre par le Seigneur Jésus-Christ Lui-même. C’est l’assemblée des croyants en Christ, dans laquelle Il appelle Lui-même chacun à entrer. L’Église n’est pas une communauté humaine ordinaire, le Saint-Esprit y est présent et agit.

L’Église est un organisme divino-humain, le Corps mystique du Christ, comme le dit l’apôtre Paul : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis dans le Christ par toute bénédiction spirituelle dans les lieux célestes…, qui a mis toutes choses sous ses pieds, et qui l’a placé au-dessus de toutes choses, comme chef de l’Église, qui est son Corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous » (Eph. I,3, 22-23). L’image du corps renvoie à l’unité de tous les membres de l’Église sous une seule Tête, le Seigneur Jésus-Christ (cf. Col. 1,18).

Le but de l’Église est le salut des hommes et du monde entier. Le salut ne peut être trouvé que dans l’Église du Christ. Selon les mots du saint hiéromartyr Cyprien de Carthage, « on ne peut plus avoir Dieu pour Père si l’on n’a pas l’Église pour mère »[1] .

Le Credo indique quatre propriétés essentielles de l’Église : l’unicité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité.

L’Église est une parce que Dieu est un. L’Église est une et unique parce qu’elle unit les croyants par l’unité de la foi, le Baptême, le don de l’Esprit Saint et la communion eucharistique avec le Seigneur Jésus-Christ. L’Église est indivisible : « Là où est le Christ, là est l’Église »[2] , « Là où est l’Esprit Saint, là est l’Église »[3] .

L’Église est sainte parce que son Chef, Jésus-Christ, est saint. Les membres de l’Église participent à Sa sainteté.

L’Église est catholique parce qu’elle est répandue dans le monde entier, ouverte aux croyants indépendamment du temps, du lieu, de l’origine et du statut social de ceux qui souhaitent la rejoindre. La catholicité de l’Église se reflète également dans la communion entre les Églises locales, qui forment l’Église universelle. Les évêques des Églises locales, malgré leurs positions différentes, sont égaux entre eux, car ils sont élevés au même degré de sacerdoce. Puisque chaque évêque a reçu de l’Esprit Saint une grâce égale à celle des autres évêques, la dignité de tous les évêques est égale : « Que l’évêque du premier Siège ne se fasse pas appeler exarque des prêtres ou prêtre suprême » (48e canon du Concile de Carthage[4]). L’attribution d’une importance particulière dans le domaine sacramentel ou théologique à un évêque constitue une altération de la conciliarité.

La propriété de conciliarité n’exclut pas le ministère de la primauté. Dans le document « La position du Patriarcat de Moscou sur la question de la primauté dans l’Église universelle », adopté par le Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe en 2013, il est mentionné que « dans la Sainte Église du Christ, la primauté en toutes choses appartient à son Chef – notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, le Fils de Dieu et le Fils de l’Homme ». Le document indique que la substitution de la primauté d’honneur traditionnelle et canoniquement justifiée du Patriarcat de Constantinople par la doctrine de la prétendue primauté de pouvoir qui lui appartiendrait est fondée sur le transfert illégitime de l’autorité depuis le niveau de l’évêché au niveau de l’Église universelle, alors qu’aux différents niveaux de l’existence ecclésiale, la primauté a une nature différente et des sources différentes. Ces niveaux sont : a) l’évêché (le diocèse), b) l’Église locale autocéphale, et c) l’Église universelle.

Au niveau du diocèse, laprimauté revient à l’évêque. La source de la primauté de l’évêque dans son diocèse est la succession apostolique, communiquée par l’ordination épiscopale. L’évêque a une pleine autorité sacramentelle, administrative et pédagogique dans son entité ecclésiale.

Au niveau de l’Église locale autocéphale, la primauté revient à l’évêque élu primat de l’Église locale par l’assemblée de ses évêques. La source de la primauté au niveau de l’Église autocéphale est l’élection de l’évêque-primat par l’assemblée des évêques (ou Synode), qui a pleine autorité ecclésiale. Le primat de l’Église locale autocéphale est le premier parmi des évêques égaux, comme l’indique le 34e canon apostolique : « Les évêques de chaque nation doivent reconnaître leur primat et le considérer comme chef, ne fassent rien qui outrepasse leur autorité sans son consentement, mais que chacun ne fasse que ce qui concerne son diocèse et les lieux qui en font partie. Mais que le premier ne fasse rien sans le jugement de tous. Car c’est ainsi qu’il y aura unanimité et que Dieu sera glorifié dans le Saint-Esprit, Père et Fils et Saint-Esprit ». Les pouvoirs du Primat sont définis par l’assemblée des évêques (Synode) et sont fixés dans les statuts adoptés par l’assemblée des évêques. Le primat d’une Église locale autocéphale ne dispose pas d’un pouvoir individuel sur celle-ci, mais il la dirige en coopération avec les autres évêques.

Au niveau de l’Église universelle en tant que communauté des Églises locales autocéphales, la primauté est définie conformément à la tradition des saints diptyques et revêt un caractère honorifique. La source de la primauté d’honneur au niveau de l’Église universelle est la tradition canonique de l’Église, fixée dans les saints diptyques et reconnue par toutes les Églises locales autocéphales. Les règles canoniques, sur lesquelles s’appuient les saints diptyques, n’attribuent pas à celui qui exerce la préséance honorifique une quelconque autorité à l’échelle générale de l’Église[5] .

Pendant des siècles, cette conception a été défendue par les patriarches de Constantinople eux-mêmes, en particulier lorsqu’ils contestaient les revendications du pape de Rome à la juridiction universelle. Cependant, l’un des principaux théologiens du Patriarcat de Constantinople déclare aujourd’hui : « Le phénomène de l’antipapisme, compris comme la négation de la première place dans l’Église universelle… est, en fait, hérétique… Le fait que les Églises orthodoxes refusent aujourd’hui de reconnaître entre elles une primauté à l’instar de la primauté romaine constitue le principal problème dans leur dialogue avec Rome »[6] .

Une nouvelle vision de la primauté au niveau de l’Église universelle a été développée et mise en œuvre dans le Patriarcat de Constantinople. Celui-ci est présenté non pas comme « premier parmi ses égaux » mais comme « premier sans égaux »[7]. Sa primauté dans l’Église universelle est comparée à la primauté de Dieu le Père dans la Sainte Trinité[8]. Il est censé être « le père spirituel de tous les hommes, qu’ils en soient conscients ou non »[9]. Les autres Églises locales sont interprétées comme étant au sein de l’Église unique par le biais de la communion avec Constantinople[10]. Les pouvoirs spéciaux du Patriarche de Constantinople sont définis comme découlant de certains privilèges jusqu’alors inconnus, reçus presque des apôtres eux-mêmes[11] . Le droit de parler au nom de tout le Plérôme orthodoxe est présenté comme découlant automatiquement de la fonction occupée par le Patriarche de Constantinople, et non comme lui ayant été conféré par les Églises locales en vertu d’un consensus panorthodoxe[12] .

Dans les discours officiels de l’actuel primat du Patriarcat de Constantinople, cette Église locale est en fait identifiée à l’Orthodoxie universelle. Prenant la parole à Vilnius le 22 mars 2023, le patriarche Bartholomée a déclaré : « L’Orthodoxie continuera-t-elle à être spirituellement dirigée par sa source et son défenseur, son centre traditionnel et historique, le Patriarcat œcuménique de Constantinople ? Cette question est essentielle pour le caractère, l’identité et l’existence de l’Orthodoxie »[13] .

Le patriarche Bartholomée affirme que « pour l’Orthodoxie, le Patriarcat œcuménique est le levain qui « fait lever toute la pâte » (Galates 5 : 9) de l’Église et de l’histoire » ; le Patriarcat de Constantinople « incarne l’ethos ecclésial authentique de l’Orthodoxie : « Au commencement était le Verbe… En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (Jean 1 : 1,4) ». Le commencement de l’Église orthodoxe est le Patriarcat œcuménique, « en lui est la vie, et la vie est la lumière des Églises »[14] . Citant la déclaration de feu le métropolite Cyrille de Gortyne et d’Arcadie selon laquelle « l’Orthodoxie ne peut exister sans le Patriarcat œcuménique », le Patriarche Bartholomée déclare que « chacun d’entre nous doit être toujours plus fermement uni au Premier d’entre nous, afin de s’abreuver à la source abondante, dont l’origine est notre nation pieuse et notre foi pure ».Il est affirmé que « Le Patriarcat œcuménique est responsable de la mise en ordre ecclésiale et canonique, parce qu’il est le seul à avoir le privilège canonique, la prière et la bénédiction de l’Église et des Conciles œcuméniques pour remplir ce devoir suprême et exceptionnel en tant que mère et parent attentionné des Églises. Si le Patriarcat œcuménique renonce à son devoir et quitte la scène inter-orthodoxe, les Églises locales deviendront « comme des brebis sans berger » (Matt. 9 : 36), dépensant leurs énergies dans des initiatives ecclésiastiques confondant l’humilité de la foi avec l’arrogance du pouvoir »[15].

De l’avis du patriarche Bartholomée, la doctrine de l’égalité des primats orthodoxes est une altération de l’ecclésiologie orthodoxe, contre laquelle il juge nécessaire de mettre en garde les évêques de l’Église de Constantinople : « Sans reconnaître la responsabilité sacrificielle, kénotique et irremplaçable du patriarche de Constantinople parmi les orthodoxes, l’ecclésiologie ne peut en aucun cas être saine et ne correspond nullement à la façon de penser et à l’éthique des pères qui nous ont précédés, à la fois ceux qui étaient ici et ceux qui étaient ailleurs. Vous, cependant, servez une ecclésiologie authentique et immuable, loin de la triste altération selon laquelle nous sommes tous égaux et que le premier, [l’évêque de] Constantinople, n’existe que « pour l’honneur ». Oui, nous sommes égaux, nous avons le même rang hiérarchique, mais sur la base des canons et de siècles de tradition, nous avons reçu d’autres privilèges d’une importance capitale et d’un caractère unique, auxquels nous n’avons nullement l’intention de renoncer »[16] .

Le patriarche Bartholomée déclare ouvertement que les Primats de Constantinople ont le droit exclusif, de leur propre initiative, d’intervenir dans les affaires internes de toute Église locale sur n’importe quelle question, d’évaluer, d’abroger ou de réviser de façon indépendante les actes des Primats des Églises autocéphales, si ceux-ci sont jugés « défectueux » à Constantinople : « La Grande Église du Christ, lorsqu’il s’agit non seulement de dogmes, de traditions sacrées, de dispositions ecclésiales canoniques ou de questions générales concernant l’ensemble du corps de l’Église, mais aussi de toutes les questions individuelles relativement importantes qui intéressent l’une ou l’autre Église locale, n’a jamais et nulle part retardé ou refusé, selon les droits d’un tuteur, de fournir sollicitude et soutien, parfois de son propre chef et par sens du devoir, et parfois sur la demande des parties concernées, apportant sa contribution efficace en tant qu’arbitre, pour le règlement des litiges survenant entre les saintes Églises de Dieu, pour le règlement des différends entre pasteurs et troupeau, pour l’élimination des difficultés supplémentaires et le retour des affaires ecclésiastiques dans leur voie canonique, pour le renforcement des actions parfois insuffisantes des chefs spirituels des différentes Églises, pour le soutien des faibles, des hésitants et des victimes d’intrigues dans l’Orthodoxie, pour la prévention, en bref, de tout danger moral et matériel menaçant le bien-être de ces très saintes Églises »[17] .

Toute rupture de communion avec le Patriarcat de Constantinople d’une Église locale est considérée comme une rupture de cette dernière avec l’Orthodoxie : « Quiconque menace de rompre la communion eucharistique avec le Patriarcat œcuménique se prive lui-même, en se coupant du tronc de l’arbre de l’Église orthodoxe »[18] .

S’arrogeant l’autorité exclusive dans l’Église orthodoxe, le Patriarcat de Constantinople ne se considère pas lié par les décisions mêmes des Conciles qu’il convoque. Ainsi, en 2018, le Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople a décidé d’autoriser la possibilité de second mariage pour le clergé sous certaines conditions. Cette décision est en contradiction directe avec le document « Le sacrement du mariage et les obstacles qui s’y opposent » adopté au Concile de Crète, dont le Patriarcat de Constantinople a déclaré les décisions contraignantes, même pour les Églises locales qui ont refusé d’y participer.

Une telle conception de la primauté dans l’Église universelle et de la place du Patriarche de Constantinople dans la famille des Églises orthodoxes locales est en contradiction radicale avec la Tradition de l’Église orthodoxe et est catégoriquement rejetée par l’Église orthodoxe russe, qui reste attachée à la lettre et à l’esprit des canons de l’Église.

La tradition des saints Pères et la doctrine orthodoxe de l’Église affirment l’égalité des Primats des saintes Églises de Dieu et ne confèrent aucun pouvoir quelconque au premier d’entre eux. Leurs Saintetés, les Patriarches d’Orient, dont les Patriarches de Constantinople, en ont témoigné tout au long de l’histoire.

Le Patriarche Jean X Kamatéros de Constantinople (1198-1206), dans une lettre au Pape Innocent, a insisté sur le fait que Église romaine ne pouvait être la mère des autres Églises car « il y a cinq grandes Églises qui sont également honorées par la dignité patriarcale, et elle [l’Église romaine] est la première parmi des sœurs égales en honneur ». En ce qui concerne ces grands trônes, nous pensons que l’Église romaine est la première dans l’ordre et n’est honorée qu’en vertu de cette seule dignité, étant la première à l’égard des autres Églises en tant que sœurs d’égale dignité et de même père, engendrées par le seul Père céleste » duquel tire son nom sa lignée dans les cieux et sur la terre » (Eph. 3:15), mais qu’elle soit l’enseignante et la mère des autres [Églises], on ne nous l’a nullement enseigné, même aujourd’hui. »[19] .

La Confession de foi de 1623 du patriarche Métrophane Ier Kritopoulos d’Alexandrie, également signée par les patriarches Jérémie ΙΙΙ de Constantinople, Athanase V d’Antioche, Chrysanthe de Jérusalem et plusieurs hiérarques de l’Église de Constantinople, dispose : « Entre les quatre patriarches, il y a une égalité qui sied vraiment aux pasteurs chrétiens. Aucun d’entre eux ne s’élève au-dessus des autres, et aucun ne se considère digne d’être appelé chef de l’Église catholique… Ce chef de l’Église catholique est le Seigneur Jésus-Christ, qui est le chef de tous, et c’est de lui que le corps entier est coordonné (cf. Eph. 5, 15-16) … Sachant cela, les quatre sanctissimes et béatissimes Patriarches de l’Église catholique, successeurs des Apôtres et défenseurs de la vérité, ne veulent appeler personne « tête », se contentant de ladite Tête, qui est divine et toute-puissante, qui siège à la droite du Père et regarde tout. Ils se traitent mutuellement de manière égale en toutes choses. En dehors de la cathèdre, il n’y a aucune autre distinction entre eux. Le Constantinopolitain préside, à côté de lui l’Alexandrin, puis l’Antiochien, à côté de lui l’Hiérosolymitain ».[20]

Déclinant une invitation du pape de Rome au premier Concile du Vatican, le patriarche Grégoire VI de Constantinople écrivit en 1868 : « Nous ne pouvons accepter que, dans toute l’Église du Christ, il y ait un évêque supérieur et chef, autre que le Seigneur, qu’il y ait quelque patriarche… parlant du haut de la chaire et supérieur aux Conciles œcuméniques… ou que les apôtres n’aient pas été égaux, ce qui est un outrage à l’Esprit Saint, qui les a tous éclairés de manière égale, ou que tel ou tel patriarche ou pape ait obtenu l’aînesse de son trône non d’un Concile, non des hommes, mais de droit divin, comme vous le dites »[21] .

En 1894, le patriarche Anthime VII de Constantinople, dans une lettre au pape de Rome Léon XIII, a également souligné l’égalité des primats et des Églises locales : « Les Pères divins, honorant l’évêque de Rome seulement en tant qu’évêque de la ville régnante de l’Empire, lui ont accordé le privilège honorable de préséance, le considérant simplement comme le premier parmi les autres évêques, c’est-à-dire le premier parmi ses égaux, privilège qui a ensuite été également accordé à l’évêque de la ville de Constantinople, lorsque cette ville est devenue régnante dans l’Empire romain….. Chaque Église autocéphale d’Orient et d’Occident était entièrement indépendante et autonome à l’époque des sept Conciles œcuméniques […] et l’évêque de Rome n’avait aucun droit d’interférer, étant lui-même soumis aux résolutions conciliaires ».[22]

L’histoire de l’Église connaît un certain nombre de cas où un hiérarque de Constantinople a sombré dans l’hérésie ou le schisme. En particulier, l’évêque Eusèbe de Constantinople était arien, et Macédonius était pneumatomaque. L’évêque Nestorius de Constantinople était un hérésiarque, ce qui lui valut d’être déposé et excommunié de l’Église lors du IIIe concile œcuménique. Les patriarches de Constantinople Serge Ier, Pyrrhus, Paul II, Pierre étaient monothélites, tandis que les patriarches Anastase, Constantin II, Nicétas Ier, Théodote Ier Cassitéras, Antoine Ier Cassymatas, Jean VII le Grammairien étaient iconoclastes. Les patriarches Métrophane II de Constantinople et Grégoire III Mammé étaient en union avec Rome.

L’appartenance à l’Église orthodoxe n’est pas déterminée par la présence ou l’absence de communion avec le Patriarche de Constantinople, mais par la ferme adhésion à la tradition dogmatique et canonique. Dans les cas où le Patriarche de Constantinople lui-même dévie vers l’hérésie ou le schisme, comme cela s’est produit à de nombreuses reprises dans l’histoire, il se trouve hors de la communion avec l’Église orthodoxe, ce qui n’est pas le cas de ceux qui, pour défendre la vérité et suivre les canons, sont contraints de rompre la communion avec lui. En particulier, lorsque le patriarche de Constantinople a fait défection au profit de l’Uniatisme, d’autres Églises locales ont continué à préserver fermement la foi orthodoxe. Et la plénitude de la grâce en elles n’a pas été diminué parce qu’elles étaient temporairement hors de communion avec le Patriarche de Constantinople.

Il ne peut y avoir de primat dans l’Église orthodoxe disposant de privilèges particuliers par rapport à d’autres primats. La tête de l’Église universelle est le Seigneur Jésus-Christ (« Il est la tête du corps de l’Église » – Col. 1 :18), et non le Patriarche œcuménique[23] . L’ingérence d’une Église locale dans les affaires d’une autre Église est inadmissible. La primauté du Patriarche de Constantinople parmi les Primats des Églises orthodoxes locales est une primauté d’honneur et non de pouvoir. Elle ne lui confère aucun privilège particulier, à l’exception de ceux qui peuvent lui être attribués par consensus des Églises orthodoxes locales, comme ce fut le cas au cours de la préparation du Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe, lorsque, par accord des Églises, les fonctions de coordinateur du processus ont été confiées au Patriarche de Constantinople.

Actuellement, en raison de l’adhésion du Patriarche de Constantinople au schisme, il est devenu impossible pour l’Église orthodoxe russe de lui reconnaître cette primauté d’honneur. Comme l’a mentionné le Saint-Synode dans une déclaration du 15 octobre 2018, entrer en communion avec ceux qui ont dévié vers le schisme, et qui plus est avec ceux qui ont été excommuniés de l’Église, équivaut à dévier dans le schisme et est sévèrement condamné par les canons de la Sainte Église : « Si des évêques, des presbytres, des diacres ou des membres du clergé se trouvent en communion avec des excommuniés, qu’ils soient eux-mêmes exclus de la communion de l’Église, car ils bouleversent la règle de l’Église » (Canon 2 du Concile d’Antioche ; cf. Canons apostoliques 10, 11).

Dans une décision datée des 23 et 24 septembre 2021, le Saint-Synode a mentionné qu’ « en soutenant le schisme en Ukraine, le patriarche Bartholomée a perdu la confiance de millions de croyants » et a souligné que « dans des conditions où la majorité des fidèles orthodoxes du monde ne sont pas en communion ecclésiastique avec lui, il n’a plus le droit de parler au nom de l’ensemble de l’Orthodoxie mondiale et de se présenter comme son dirigeant »[24]

2. Prétentions du patriarcat de Constantinople au rôle de plus haute instance d’appel de l’Église universelle

Une violation flagrante de l’ordre canonique existant dans l’Église orthodoxe est la revendication des prétendus « privilèges canoniques du patriarche de Constantinople d’accepter les appels des évêques et des clercs de toutes les Églises autocéphales »[25] . Constantinople fonde cette revendication sur la 9e règle du IVe concile œcuménique[26] , qui prescrit que dans le cas de plainte contre le « métropolite de la province » on doit s’adresser « soit à l’exarque de la grande région, soit au trône de la Constantinople régnante ».

Cependant, cette règle ne s’étend pas à toutes les Églises locales, mais à l’Église locale de Constantinople, et n’est valable qu’en son sein. C’est ce qu’affirme le commentateur byzantin des canons faisant autorité, Jean Zonaras, qui indique clairement que « le patriarche de Constantinople n’est pas nommé juge de tous les métropolites sans exception, mais seulement de ceux qui lui sont subordonnés. En effet, il ne peut pas citer à son tribunal les métropolites de Syrie, de Palestine, de Phénicie ou d’Égypte contre leur volonté ; mais les métropolites de Syrie sont soumis au tribunal du Patriarche d’Antioche, ceux de Palestine au tribunal du Patriarche de Jérusalem, et ceux d’Égypte doivent être jugés par le Patriarche d’Alexandrie, de qui ils reçoivent l’ordination et à qui ils sont subordonnés »[27] .

Saint Nicodème l’Hagiorite dans le Pédalion, qui est une source faisant autorité en matière de droit ecclésiastique et canonique dans l’Église de Constantinople, mentionne également que « le Primat de Constantinople n’a pas le droit d’agir dans les diocèses et les provinces des autres Patriarches, et cette règle ne lui a pas donné le droit d’accepter des appels pour tout cas dans l’Église universelle ». Après avoir énuméré un certain nombre d’arguments en faveur de cette interprétation, saint Nicodème conclut : « Actuellement, le Primat de Constantinople est le premier, le seul et le dernier juge des métropolites qui lui sont subordonnés, mais non de ceux qui sont subordonnés aux autres Patriarches »[28] .

À différentes époques, il y eut des cas d’appels des Primats d’autres Églises locales au Patriarche de Constantinople pour obtenir de l’aide. Cette pratique est reflétée, en particulier, dans « l’Encyclique de l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique à tous les chrétiens orthodoxes » (1848), qui stipule : « Les Patriarches d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem, dans le cas d’affaires inhabituelles et confuses, écrivent au Patriarche de Constantinople, parce que cette ville est la capitale des empereurs et, ce faisant, dispose d’un privilège accordé par les Conciles. Si, grâce à la coopération fraternelle, ce qui doit être corrigé l’est, c’est bien ; mais si ce n’est pas le cas, on s’en réfère au pouvoir temporel, suivant les lois. Mais cette coopération fraternelle dans la foi chrétienne ne s’exerce pas au prix de l’asservissement des Églises de Dieu »[29].

Tout d’abord, on se réfère ici aux Églises locales concrètes d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem, et non à toutes les Églises qui ont existé naguère ou qui existent actuellement. Deuxièmement, il s’agit de questions « inhabituelles et confuses » qui sont renvoyées pour examen au Patriarche de Constantinople par les Primats de ces Églises de leur propre initiative, au cas où ils ne seraient pas en mesure de les résoudre eux-mêmes. Troisièmement, il est dit clairement dans le texte que la participation de Constantinople à la résolution de ces questions ne doit pas porter atteinte à la liberté des Églises locales. Quatrièmement, le texte ne dit nulle part qu’un évêque ou un clerc d’une Église locale peut faire appel au Patriarche de Constantinople, en passant outre son Primat ou encore la plus haute autorité conciliaire de sa propre Église. La pratique de faire appel au Patriarche de Constantinople dans des cas complexes et confus est due au fait que « cette ville est la capitale des empereurs », ce qu’elle n’est plus, comme cela est bien connu. Il est évident que les pouvoirs respectifs du siège de Constantinople ne pouvaient s’étendre au-delà du territoire placé sous l’autorité desdits empereurs : en 1848, le sultan était un tel souverain, et donc en ce lieu, l’affaire ne pouvait concerner que les Églises locales situées à l’intérieur de l’Empire ottoman.

Dans l’histoire plus récente, il y eut des cas où, de sa propre initiative, une Église locale, représentée par son Primat et son Synode, faisait appel à Constantinople pour obtenir de l’aide si elle ne pouvait pas résoudre un problème par elle-même. Dans de tels cas, le Patriarche de Constantinople agissait non pas en tant qu’instance d’appel suprême, mais en tant que coordinateur de l’assistance fournie à l’Église souffrante par d’autres Églises orthodoxes locales.

Un exemple d’une telle action panorthodoxe, réalisée sous le rôle coordinateur du Patriarcat de Constantinople, peut être constitué par l’une des étapes de la guérison du schisme dans l’Église orthodoxe bulgare. En 1998, sur la demande du patriarche Maxime de Bulgarie, le patriarche Bartholomée de Constantinople a présidé le Saint Grand Concile élargi convoqué à Sofia, aux travaux duquel ont participé les Primats et les représentants de treize Églises orthodoxes locales, du 30 septembre au 1er octobre 1998. Le Concile a accepté le repentir d’un certain nombre de hiérarques en schisme[30], et avec eux des clercs, des moines et des laïcs, en les réunissant à l’Église orthodoxe bulgare canonique[31].

Bien des années plus tard, le patriarche Bartholomée a prétendu « guérir le schisme ukrainien », mais il n’a absolument pas agi de la même manière que pour la guérison du schisme dans l’Église bulgare. Si, dans ce dernier cas, les dirigeants de l’Église bulgare ont fait alors appel à Constantinople, aujourd’hui, ni la Hiérarchie de l’Église orthodoxe russe, ni celle de l’Église orthodoxe ukrainienne auto-administrée n’ont fait appel à Constantinople pour trouver une solution au problème. Mais ce sont les autorités séculières de l’État ukrainien et deux groupes de schismatiques qui se sont adressés au patriarche Bartholomée, en contournant l’Église orthodoxe ukrainienne canonique. La décision de Constantinople de « rétablir dans le rang sacerdotal » l’ex-métropolite de Kiev, Philarète (Denissenko), excommunié de l’Église, a été prise en violation des canons ecclésiastiques.

Il convient de rappeler que le 26 août 1992, en réponse à la notification de la déposition du métropolite Philarète de Kiev, le Patriarche Bartholomée de Constantinople avait écrit au Patriarche Alexis II de Moscou et de toute la Russie : « Notre Sainte Grande Église du Christ, reconnaissant la plénitude de la compétence exclusive de votre très Sainte Église russe sur cette question, accepte la décision de [votre] Synode sur ce qui précède ». La réponse du patriarche Bartholomée du 7 avril 1997 au message concernant l’anathématisation de Denissenko est la suivante : « Ayant reçu notification de décision susmentionnée, nous en avons informé la hiérarchie de notre Trône œcuménique et lui avons demandé de ne plus avoir dorénavant aucune communion ecclésiastique avec les personnes mentionnées ». Ainsi, même si le Patriarcat de Constantinople avait le droit de recevoir les appels d’autres Églises orthodoxes locales, même dans un tel cas, le patriarche de Constantinople, conformément aux canons[32], ne pourrait accepter à nouveau un appel de l’ex-métropolite Philarète Denissenko, en ayant précédemment reconnu la plénitude de la compétence exclusive de l’Église orthodoxe russe dans son cas et ayant exprimé son accord avec la décision de son Assemblée des évêques sans aucune proposition de révision. Au demeurant, tout appel de la part de l’ex-métropolite de Kiev Philarète eût été en tout état de cause nul et non avenu puisque, ayant été condamné, il n’a pas cessé d’accomplir des offices et des ordinations, perdant ainsi, selon les canons[33], le droit de voir son cas réexaminé.

Le « rétablissement dans le rang sacerdotal » de l’ex-métropolite Philarète Denissenko entrepris unilatéralement par le Patriarcat de Constantinople, sans procès ni examen de l’affaire au fond, est nul et non avenu à la lumière des saints canons – en particulier, du 15e canon du Concile d’Antioche, du 105e (118e) du Concile de Carthage et de la lettre canonique du Concile de Carthage au Pape Célestin[34].

Les actions qui ont eu lieu à Constantinople en octobre 2018 ne peuvent pas même formellement être qualifiées de cour d’appel : non seulement les décisions de justice ecclésiastique prises à l’encontre de Philarète Denissenko et de Macaire Maletitch n’ont pas été examinées, mais on n’a pas même pris une connaissance élémentaire des biographies de ces personnes. Ainsi, le patriarche Bartholomée a écrit à propos des appels qu’il les avait reçus « du ci-devant seigneur de Kiev Philarète et également du ci-devant seigneur de Lvov Macaire[35] », bien qu’à l’époque du schisme, Nicolas Maletich était archiprêtre marié.

Dans le but d’étendre la portée de ses droits fictifs et de créer de nouveaux précédents, le Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople a, le 17 février 2023, a « abrogé » les décisions dûment ratifiées du tribunal ecclésiastique du diocèse de Vilnius concernant la destitution du rang sacerdotal de cinq ecclésiastiques pour des délits canoniques commis par eux et, sur la recommandation du patriarche Bartholomée, les a « rétablis » dans leurs anciens rangs sacerdotaux. Dans le même temps, malgré l’assurance d’une « enquête méticuleuse sur les cas examinés », le Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople ne disposait pas des documents relatifs aux affaires judiciaires et se fondait exclusivement sur les déclarations personnelles des ecclésiastiques mentionnés, qui reflétaient unilatéralement leurs opinions et leurs intérêts[36]. De la même façon, le 27 juin 2023, un clerc du diocèse de Moscou a également été « rétabli » dans son rang sacerdotal sur la base d’une déclaration personnelle, sans étude des documents du tribunal, bien que la procédure de privation de son rang sacerdotal engagée par le tribunal ecclésiastique diocésain n’ait pas été achevée (la confirmation du verdict par le patriarche de Moscou et de toute la Russie n’avait pas eu lieu au moment de l’examen de la question à Constantinople[37]).

Poursuivant ses activités illégales, le Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople a examiné, les 25 et 26 avril 2023, les appels de deux clercs de l’Église orthodoxe en Amérique, qui avaient fait l’objet de sanctions par le tribunal ecclésiastique de leur Église locale en raison de leurs délits canoniques.

Il est ainsi créé une situation des plus dangereuses, lorsqu’un clerc qui a transgressé les saints canons et a été destitué de son rang sacerdotal dans son Église locale peut interjeter appel à Constantinople et recevoir une « réintégration dans le rang sacerdotal ». Qui plus est, ces clercs peuvent être utilisés pour créer une structure du Patriarcat de Constantinople sur le territoire canonique d’une autre Église locale.

3. Le « rétablissement dans le rang sacerdotal » des schismatiques qui n’ont pas été ordonnés canoniquement ou qui ont perdu leur rang pour avoir rejoint le schisme

Le « rétablissement dans le rang sacerdotal »des schismatiques ukrainiens par le Patriarcat de Constantinople constitue une violation indubitable des saints canons et une rupture avec la pratique séculaire de l’Église.

Par la décision du Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople du 11 octobre 2018, les « hiérarques » et « clercs » de deux structures schismatiques en Ukraine – l’Église orthodoxe ukrainienne – Patriarcat de Kiev et l’Église orthodoxe ukrainienne autocéphale – ont été acceptés dans la communion ecclésiale « dans leur rang sacerdotal existant », sans examen des circonstances de leur condamnation et de la validité de leurs ordinations.

Cette décision a été prise en dépit du fait que les schismatiques ne se sont pas repentis et ne se sont pas réunis avec l’Église orthodoxe ukrainienne, dont ils s’étaient détachés et à l’égard de laquelle ils continuent leur hostilité. Ainsi, la condition la plus importante pour l’admission des schismatiques dans l’Église a été bafouée : leur repentir et leur réunion avec l’Église locale dont ils se sont séparés. Or, c’est à cette condition que la Sainte Église a guéri les schismes, tant dans les temps anciens que modernes, ce qui est confirmé par de nombreux exemples

En particulier, l’examen du problème du schisme mélicien lors du premier Concile œcuménique s’est déroulé avec la participation directe de l’Église d’Alexandrie, au sein de laquelle il a surgi et qui en a souffert. L’évêque Alexandre d’Alexandrie, comme l’indiquent les Actes du Concile, « a été le principal artisan et participant de tout ce qui s’est passé au Concile ». Il est caractéristique que les évêques ordonnés dans le schisme, en revenant dans l’Église, devaient être confirmés par une ordination plus sainte (μυστικωτέρᾳ χειροτονίᾳ βεβαιωθέντας), et qu’ils étaient placés dans une position subordonnée aux évêques canoniques sur le terrain : « il leur était enjoint de ne faire quoi que ce soit sans le consentement des évêques de l’Église catholique et apostolique soumis à [l’évêque d’Alexandrie] Alexandre »

De même, le Ier Concile œcuménique s’est prononcé sur le schisme novatiens. Selon son 8e canon, les évêques novatiens devaient « confesser par écrit » qu’ils suivraient en toutes choses les définitions de l’Église catholique. Après avoir leur imposé des mains (ὥστε χειροθετουμένους αὐτούς), ils ont été rattachés à l’Église et, de la même manière que les Méliciens, ont été soumis aux évêques canoniques locaux.

Le VIIe Concile œcuménique, qui s’est penché sur la question de la réception des évêques iconoclastes dans l’Église, a exigé d’eux qu’ils se repentent par écrit, ce qu’ils ont fait. En même temps, le cas de chaque évêque iconoclaste a été examiné séparément par les Pères du Concile, ce qui est décrit dans les Actes conciliaires, et les évêques qui étaient les iconoclastes les plus zélés comme, par exemple, le métropolite Grégoire de Néocésarée, ont été interrogés avec un soin particulier et convoqués aux sessions du Concile à plusieurs reprises.

Dans l’histoire récente de l’Église, le même principe a été appliqué lors du Concile des primats et des représentants des Églises orthodoxes locales à Sofia en 1998 : les évêques schismatiques n’ont été acceptés dans la communion qu’après s’être repentis et avoir exprimé leur volonté de se réunir avec l’Église orthodoxe bulgare canonique.

Les schismatiques en Ukraine ne se sont pas repentis et ne se sont pas réunis avec l’Église orthodoxe ukrainienne et son primat, Sa Béatitude le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine. La décision du Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople d’admettre ces personnes dans la communion ecclésiale témoigne une déviation de la pratique séculaire profondément ancrée dans la doctrine orthodoxe, qui à son tour conduit à des altérations dans la compréhension de la nature et de la structure de l’Église elle-même.

La gravité de l’acte anti-canonique du Patriarcat de Constantinople est aggravée par le fait que tous les « évêques » schismatiques et les simples « clercs », sans exception, ont été « rétablis » dans leur rang par la décision arbitraire de son Synode sans enquêter sur la succession apostolique de leurs ordinations. Or, dans de nombreux cas, les ordinations des schismatiques ukrainiens ne peuvent pas être reconnues comme valides, même par une économie extrême.

La hiérarchie de la soi-disant « Église orthodoxe autocéphale ukrainienne » (EOAU) a été fondée par l’ex-diacre du diocèse de Toula, Victor Tchekaline (défroqué en 1983), et l’ex-évêque de Jytomyr et d’Ovroutch, Jean Bodnartchouk (défroqué en 1989), qui ont « ordonné » en 1990 les premiers évêques de l’EOAU. Dans le même temps, Victor Tchekaline, qui prétendait être « l’évêque Vincent de Iasnaïa Poliana », n’a jamais et nulle part (même dans des communautés non canoniques) reçu une « ordination » non seulement épiscopale, mais même presbytérale.

La partie principale de « l’épiscopat » de l’EOAU, qui a rejoint la soi-disant « Église orthodoxe d’Ukraine », compte une succession d’« ordinations » de ces deux personnes. En particulier, le « métropolite de Galicie » André Abramtchouk, qui a concélébré avec le patriarche Bartholomée en la cathédrale Saint-Georges [du Phanar, ndt] le 6 janvier 2021, a été « ordonné » avec la participation de Victor Tchekaline. L’ancien primat de l’EOAU Macaire Maletitch, qui s’était autoproclamé « Métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine », a également reçu une « ordination » épiscopale » de la hiérarchie « tchekalienne ».

La soi-disant « Église orthodoxe ukrainienne – Patriarcat de Kiev » a été créée à la suite du passage, le 25 juin 1992, à l’EOAU de l’ex-métropolite de Kiev, Philarète Denissenko, qui, deux semaines auparavant, avait été défroqué par l’Assemblée des évêques de l’Église orthodoxe russe pour toute une série d’accusations et, plus tôt encore, avait été interdit de célébration par l’Assemblée des évêques de l’Église orthodoxe ukrainienne, les 27 et 28 mai 1992.

Après avoir rejoint l’EOAU schismatique, l’ex-métropolite Philarète a concélébré pendant longtemps avec des hiérarques ayant reçu l’ordination « tchekalienne », c’est-à-dire qui n’avaient jamais été ordonnés évêques. Malgré les tentatives de l’ex-métropolite Philarète de « réordonner » secrètement les hiérarques de l’EOAU à l’aide de l’ex-vicaire épiscopal Jacob Pantchouk et de l’ex-évêque de Lvov André Gorak, qui avaient également été défroqués, certains des hiérarques de cette structure ont refusé d’être « réordonnés ». Après la dislocation du schisme ukrainien en 1993 en deux structures non canoniques, l’épiscopat « tchekalinien » est passé, plus d’une fois, à l’Église orthodoxe ukrainienne – Patriarcat de Kiev et vice-versa, participant à plusieurs reprises aux « ordinations épiscopales ». À cet égard, la présence de signes, même formels, de succession apostolique dans les « ordinations » de l’Église orthodoxe ukrainienne – Patriarcat de Kiev (EOU-PK) ne peut être reconnue sans une recherche approfondie.

Les circonstances de la légalisation du schisme ukrainien confirment que le Phanar n’a procédé à aucune étude des ordinations des schismatiques ukrainiens. Cela est confirmé par le « rétablissement » susmentionné du chef de l’EOAU Macaire Maletitch en tant qu’« ex-métropolite de Lvov », alors que personne ne l’a jamais privé de ce rang et ne puisse le faire, pour la bonne raison qu’il a rejoint l’EOAU avec le rang d’archiprêtre (dont il a été privé par la suite), et il a reçu son « ordination » épiscopale et la dignité d’« évêque de Lvov » alors qu’il se trouvait déjà dans le schisme. Qui plus est, à la suite de la réception automatique dans « leur rang existant » de toutes les personnes qui faisaient partie à l’époque de l’EOAU et de l’EOU-PK non canoniques, Constantinople a reconnu dans la dignité de « métropolite de Chersonèse » Michel Laroche, qui vivait à Paris[38] , et qui est devenu le « hiérarque » de la soi-disant « Église orthodoxe d’Ukraine ». Par ailleurs, la succession de « l’ordination » épiscopale de cet homme remonte aux schismatiques grecs vieux-calendaristes.

Les actions illégales du Patriarche de Constantinople pour « rétablir dans leur rang sacerdotal » des personnes qui n’ont jamais eu un tel rang ont trouvé une évaluation canonique correspondante dans un certain nombre d’Églises orthodoxes locales. Selon les termes de Sa Sainteté le patriarche Porphyre de Serbie, « L’Église est l’Église, et une parasynagogue illégale peut devenir Église uniquement par la repentance et la procédure canonique, et en aucun cas d’un trait de plume »[39] . « Ceux qui ont quitté l’Église, dépourvus d’ordination sacerdotale, ne peuvent représenter un organisme ecclésial sain »[40] , a déclaré l’Assemblée des évêques de l’Église orthodoxe polonaise.

Comme le souligne à juste titre Sa Béatitude l’archevêque Anastase d’Albanie dans une lettre au patriarche Bartholomée de Constantinople datée du 21 mars 2019, « Par conséquent, la correction du schisme des Méliciens et le rétablissement de ceux qui avaient été de façon invalide ordonnés par celui-ci, comportait les phases suivantes : 1) le repentir, 2) l’imposition des mains par un évêque canonique, une exigence minimum pour le sceau de la succession apostolique, 3) une prière et, finalement, 4) la réconciliation. C’est là un principe en vigueur pour tous les cas de la réintégration des schismatiques dans l’Église orthodoxe et qui définit une issue intéressante au problème existant. ». Il est également inapproprié de comparer le schisme ukrainien à la division existant entre l’Église orthodoxe russe hors-frontières et l’Église dans la patrie, division qui a été surmontée en 2007. Les hiérarques de l’Église russe hors-frontières n’ont jamais été destitués de leur rang et, comme l’écrit à juste titre Sa Béatitude l’archevêque Anastase d’Albanie dans la lettre susmentionnée, « il n’y avait ni excommunications ni anathèmes, et la succession apostolique n’était pas mise en doute », ce qui est notamment confirmé par les cas répétés de hiérarques de nombreuses Églises orthodoxes locales, y compris Constantinople, concélébrant avec les hiérarques de l’Église russe hors-frontières.

Il convient également de mentionner l’argumentation de la déclaration du Secrétariat du Saint-Synode de l’Église orthodoxe albanaise du 15 novembre 2022, qui met en question la légalité de l’ordination de l’actuel « primat » de l’Église orthodoxe d’Ukraine par l’ex-métropolite Philarète (Denissenko), excommunié de l’Église : « lorsque l’ordinant est séparé de l’Église, défroqué, anathématisé et excommunié, il reste ineffectif, il ne transmet aucune grâce (de même qu’un appareil électrique ne transmet aucune énergie s’il est coupé du courant). Pas plus que quelque chose qui n’a jamais eu lieu devient existant et valide par une simple décision administrative. C’est en cela précisément que consiste la préoccupation quant à la validité de l’ordination d’Épiphane par Philarète ».

Il faut reconnaître que les « hiérarques » de la soi-disant « Église orthodoxe d’Ukraine », formée par la décision du patriarche Bartholomée de Constantinople à partir de deux structures non canoniques qui existaient auparavant – l’EOAU et  l’EOU-PK  – n’ont pas d’ordination canonique et ne sont donc pas des évêques. Tout hiérarque de l’Église canonique qui concélèbre avec eux, conformément aux canons de l’Église (9e canon du Concile de Carthage ; 2e, 4e canons du Concile d’Antioche ; 11e, 12e canons apostoliques), rejoint lui-même par cette concélébration, le schisme, et est sujet à l’excommunication. N’ayant ni le droit, ni le désir, d’entrer en communion eucharistique avec de tels « hiérarques » après leur reconnaissance par Constantinople, l’Église orthodoxe russe, lors de la réunion de son Saint-Synode du 15 octobre 2018, a été contrainte de déclarer l’impossibilité de la communion eucharistique avec le Patriarcat de Constantinople jusqu’à ce qu’il renonce à ses décisions anti-canoniques. Les décisions ultérieures du Saint-Synode[41] ont étendu l’impossibilité de la communion eucharistique également aux primats et aux hiérarques des Églises orthodoxes locales qui reconnaissent la légitimation du schisme ukrainien et entrent en concélébration avec des personnes qui n’ont pas d’ordination canonique.

Fidèle à l’esprit et à la lettre des saint canons, l’Église orthodoxe russe continuera à l’avenir d’adhérer strictement aux règles canoniques qui interdisent la concélébration avec les schismatiques et les autoconsacrés. Tout écart par rapport à ces canons conduit inévitablement à la destruction de la paix inter-ecclésiale et à l’aggravation du schisme.


[1] Cyprien de Carthage, saint hiéromartyr, Sur l’unité de l’Église.

[2] Ignace d’Antioche, saint martyr, Épître aux Smyrniotes, VIII, 2.

[3] Irénée de Lyon, saint hiéromartyr, Contre les hérésies II, XXIV, 1.

[4] Selon une autre numérotation, 39e canon (ndt)

[5] Position du Patriarcat de Moscou sur la question de la primauté dans l’Église universelle, paragraphe 2 (3).

[6] Archimandrite Pantéléimon (Manoussakis), professeur au Collège de la Sainte-Croix (États-Unis) : Manoussakis, John Panteleimon. Primacy and ecclesiology : the state of the question // Orthodox Constructions of the West. by G.E. Demacopoulos and A. Papanikolaou. New York : Fordham University Press, 2013, pp. 229, 232.

[7] Elpidophore (Lambriniadis), Métropolite, Primus sine paribus. Réponse à la position du Patriarcat de Moscou sur la question de la primauté dans l’Église universelle.

[8] Voir Métropolite Elpidophore (Lambriniadis), Primus sine paribus : « L’Église a toujours et systématiquement compris la personne du Père comme la primauté (« monarchie du Père ») dans la communion des Personnes de la Sainte Trinité. Si nous devions suivre la logique du texte du Saint-Synode russe, nous devrions également affirmer que Dieu le Père n’est pas la cause primordiale de la divinité et de la paternité… mais qu’il devient le récipiendaire de sa primauté. Et de qui la tiendrait-il ? Des autres personnes de la Sainte Trinité ?

[9] Sermon de l’archevêque Elpidophore d’Amérique en l’église épiscopalienne St Bartholomew. New York, 10 juin 2023

[10] « Il est inconcevable qu’une Église locale, en particulier une Église qui a obtenu ce qu’elle est grâce aux initiatives et aux actions du Patriarcat œcuménique, rompe la communion avec lui, puisque la canonicité de son être découle de lui » (Amphiloque, Métropolite d’Andrinople. En reniant le Patriarcat œcuménique, vous reniez la source de votre existence – site web orthodoxia.info).

[11] « Le Patriarcat œcuménique… a la juridiction canonique et tous les privilèges apostoliques, étant responsable de la préservation de l’unité et de la communion des Églises locales » (Discours d’ouverture du patriarche Bartholomée de Constantinople lors de la réunion des hiérarques du Patriarcat de Constantinople le 1er septembre 2018).

[12] Métropolite Elpidophore (Lambriniadis), Primus sine paribus. Réponse à la position du Patriarcat de Moscou sur la question de la primauté dans l’Église universelle.

[13] Discours du patriarche Bartholomée de Constantinople lors du séminaire sur « Réaction des Églises et des communautés religieuses à la guerre et aux conflits ». Vilnius, 22 mars 2023.

[14] Discours d’ouverture du patriarche Bartholomée de Constantinople lors de la réunion des hiérarques du Patriarcat de Constantinople le 1er septembre 2018.

[15] Ibid.

[16] Allocution du patriarche Bartholomée de Constantinople lors des vêpres en l’église Saint-André de Kiev le 21 août 2021.

[17] Lettre du patriarche Bartholomée de Constantinople à Sa Béatitude l’archevêque Anastase d’Albanie, datée du 20 février 2019.

[18] Discours du patriarche Bartholomée de Constantinople lors de la cérémonie de remise du titre de docteur honoris causa de l’Académie de Kiev, le 22 août 2021.

[19] Cité dans : Iannis Spiteris, La Critica Bizantina del Primato Romano nel secolo XII, Roma, 1979 (Orientalia Christiana analecta ; 208. 208), pp. 325-326.

[20] Cité dans : Jean Karmiris, Τὰ δογματικὰ καὶ συμβολικὰ μνημεῖα [Monuments dogmatiques et symboliques…]Graz, 1968. Τ. ΙΙ. pp. 560 (640).

[21] Ibid., pp. 927-930 (1007-1010).

[22] Ibid., pp. 939-940 (1025-1026).

[23] « L’homme ne peut pas être le chef de l’Église du Christ… La doctrine de la nécessité impérative d’avoir un chef visible suprême de toute l’Église du Christ est apparue en raison du grand déclin de la foi dans le chef invisible de l’Église, c’est-à-dire dans le Seigneur Jésus-Christ, et dans son existence et son action dans l’Église, et aussi en raison du déclin de l’amour pour Lui  » (Gorazd de Prague, hiéromartyr, 1168 вопросов и ответов о православной вере [1168 questions et réponses sur la foi orthodoxe] 343, 388).

[24] Protocole n° 60 du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe des 23 et 24 septembre 2021.

[25] Citation de la décision du Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople du 11 octobre 2018 sur la réception en communion de Philarète Denissenko et Macaire Maletitch.

[26] « Si un ecclésiastique a un différend avec un autre ecclésiastique, qu’il ne quitte pas son évêque et qu’il n’ait pas recours aux tribunaux séculiers. Mais qu’il porte d’abord sa cause devant son évêque, ou que, par la volonté de ce même évêque, les personnes choisies par les deux parties constituent le tribunal. Quiconque contrevient à cette règle sera puni selon les règles. Si un clerc a un litige avec son évêque ou avec un autre évêque, qu’il soit jugé par le Concile de la province. Mais si un évêque ou un clerc a un litige avec le métropolite, qu’il en appelle à l’exarque de la grande province ou au trône de la Constantinople régnante, et qu’il soit jugé devant lui » (extrait du 9ème canon du IVe concile œcuménique).

[27] D’après l’interprétation du 17è canon du IVe concile œcuménique. Voir : Évêque Nicodème (Milaš), Правила Православной Церкви с толкованиями [Canons de l’Église orthodoxe avec commentaires], Мoscou, 1996. Т. 1. p. 374.

[28] Pédalion, Interprétation du 9ème canon du IVe concile œcuménique.

[29] Εγκύκλιος της μιας αγίας καθολικής και αποστολικής εκκλησίας επιστολή προς τους απανταχού ορθοδόξους. [Encyclique de l’église une, sainte, catholique et apostolique à tous les orthodoxes], Constantinople 1848. (§ 14)

[30] En même temps, ceux qui se repentaient pour le schisme retiraient publiquement leurs encolpions, signes de la dignité épiscopale.

[31] Malgré l’importance du Concile de Sofia de 1998, il convient de mentionner que la position du patriarche Bartholomée, qui l’a présidé, ne se distinguait pas par sa pureté canonique. Il a soutenu la réception dans la communion « par économie extrême » des « hiérarques » qui avaient reçu leur ordination, dans le schisme, de personnes réduites à l’état laïc et excommuniées de l’Église, alors que la majorité des participants au Concile était favorable à leur réception par une ordination canonique. Cette position est reflétée dans l’opinion particulière du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe concernant les décisions du Concile des primats et hiérarques des Églises orthodoxes locales à Sofia.

[32] Voir le 5e canon du Conseil de Sardique.

[33] 14e canon du Concile de Sardique : «  Mais avant que toute chose ne soit examinée avec soin et foi, celui qui fut privé de la communion ne doit pas revendiquer la communion pour soi » ; 29e canon (38e) du Concile de Carthage : « Il a également été décidé par tout le synode que l’évêque ou n’importe quel clerc qui fut privé de la communion pour sa négligence, s’il ose communier durant le temps de sa privation de communion et avant d’être entendu en justice, sera considéré comme ayant porté contre soi la sentence de condamnation», etc.

[34] 15e canon du Concile d’Antioche : « Si un évêque… est jugé par tous les évêques de la province et que tous ont été unanimes à porter sur lui un jugement défavorable, il ne sera pas jugé par d’autres évêques, mais la décision concordante des évêques de la province restera ferme » ; 105e (118e) canon du Concile de Carthage : « Quiconque, ayant été exclu de la communion de l’Église… se rend clandestinement outre-mer pour être reçu dans la communion, est passible de l’exclusion du clergé ». Lettre canonique du Concile de Carthage au pape Célestin : : « Que ceux donc qui ont été dans leur propre province privés de la communion… ne soient pas … rétablis dans la communion par votre sainteté… toutes affaires qui naissent quelque part doivent être conclues dans les lieux mêmes ».

[35] Lettre du patriarche Bartholomée de Constantinople au patriarche Cyrille de Moscou et de de toute la Russie n° 1119 du 24 décembre 2018.

[36] Communiqué du Secrétariat général du Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople, daté du 17 février 2023, sur l’appel des clercs de Lituanie.

[37] Communiqué sur les travaux du Saint-Synode du Patriarcat de Constantinople du 28 juin 2023.

[38] Décédé en 2022.

[39] Patriarche Porphyre de Serbie, Communiqué de presse de l’Église orthodoxe serbe « au sujet de la terreur d’État contre l’Église orthodoxe ukrainienne » – Orthodoxie.com

[40] Communiqué de l’Assemblée des évêques de l’Église orthodoxe polonaise en date du 2 avril 2019.

[41] Protocoles des séances du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe n° 125 du 17 octobre 2019 ; n° 151 du 26 décembre 2019 ; n° 77 du 20 novembre 2020.

Pour lire la suite :

Introduction ; 2e partie et 3e partie

À propos de l'auteur

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Jivko Panev

Jivko Panev, cofondateur et journaliste sur Orthodoxie.com. Producteur de l'émission 'Orthodoxie' sur France 2 et journaliste.
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